Canapé et fauteuils élégants à cour, comptoir de café à jardin, deux mondes ici semblent se confronter, sans pour autant s’opposer, délimitant deux espaces qui cependant communiquent l’un avec l’autre, celui de la réalité et celui du spectacle, celui de la vie et celui de l’art. Au centre, derrière un voilage qui le dissimule tout en le donnant à voir, l’intérieur d’une brasserie. Loin du jardin et du salon du château rococo évoqués dans le livret de Clemens Krauss et Richard Strauss, ce Capriccio dépouille la « conversation en musique » de sa dimension aristocratique. C’est en passant commande au bar qu’Olivier et Flamand, deux jeunes gens d’aujourd’hui, parlent de la jeune femme moderne et un peu délurée qu’ils lorgnent dans la salle. On peine un peu à voir en elle la comtesse Madeleine, et les propos sur le chevalier Gluck et l’Iphigénie classique paraissent verbiage ou cuistrerie en ces lieux. Mais il y a la conversation d’une part, le jeu scénique d’autre part. Puisque la scénographie nous invite en un lieu « où public et artistes se retrouvent », comme l’indique la brochure du spectacle, pourquoi le poète et le musicien n’iraient-ils pas boire un verre avec Madeleine ?
Il faut faire crédit à la mise en scène de Dieter Kaegi et aux décors de Dirk Hofacker de susciter l’intérêt du public, en dépit d’un côté « au théâtre ce soir » qui explique sans doute le volume sonore des interventions des chanteurs quand le ton de la confidence serait plus approprié à cette « gourmandise pour des gourmets culturels », comme l’écrivait en 1941 le compositeur au librettiste. Malgré les réserves qu’inspirent ces choix, et plus encore une certaine grossièreté – inutile et qui tombe à plat – dans les mimiques d’Olivier se collant dans sa flamme amoureuse au corps de la comtesse, reconnaissons qu’il y a quelque audace à présenter à l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole une œuvre souvent qualifiée d’intellectuelle et de peu théâtrale. Sans doute est-ce pour lui donner une certaine familiarité que la brasserie prend pour modèle, comme on l’apprendra d’un Messin, la brasserie Flo de Metz.
Saluons d’emblée l’excellent baryton-basse Horst Lamnek, remarquable La Roche auquel il donne une présence vocale magistrale, avec beaucoup d’élégance dans la diction et un art de la projection inégalement partagé sur le plateau. Jean-Luc Ballestra, voix équilibrée et timbre plaisant, dote le poète Olivier d’une belle envergure vocale, que vient malheureusement troubler une mauvaise prononciation de la langue allemande, défaut qu’un chanteur devrait certainement surmonter au prix d’exercices appropriés. Pour interpréter Flamand, Johannes Chum surjoue son rôle, scéniquement et vocalement : il semble vouloir dominer le débat en haussant le ton – est-ce fanfaronnade, ou faut-il se faire entendre dans le brouhaha de la brasserie ? Voilà en tout cas qui nuit au ton plutôt feutré que suggère le livret, et qui pousse ses partenaires à la surenchère.
Aussi la première intervention de Soula Parassidis en Madeleine s’apparente-t-elle davantage au cri qu’au chant, ce qui ne laisse de surprendre et d’inquiéter. La voix semble dure, acide, peu faite a priori pour ce rôle. Et même si, peu à peu, plus de souplesse atténue cette raucité, on ne peut s’empêcher de songer qu’elle correspondrait mieux aux emplois d’Elektra ou de Salomé, bref aux œuvres du premier Strauss et non du dernier. Cela n’empêche pas Soula Parassidis de faire face de manière honorable à bien des difficultés du rôle de la Comtesse et d’en affronter les derniers airs, à défaut d’aisance, du moins avec vaillance.
À ses côtés, le Comte de Stephan Gentz accomplit honnêtement sa tâche sans être pleinement convaincant. On ne lui fera pas porter la responsabilité du ridicule dans l’exagération de sa déclamation du sonnet, sans doute à mettre sur le compte de la direction d’acteur. Tout comme la vision caricaturale du personnage de Clairon – qu’incarne par ailleurs avec talent Marie Gautrot – contrainte de promener constamment par sa laisse un petit chien très docile, qui amuse une partie du public, mais dont on ne perçoit pas clairement l’utilité. Peu utiles également les interventions brouillonnes du corps de ballet, bien éloignées de la musique du passé que représente la suite de danses anciennes dans l’économie du livret. Mais Aline Maalouf et Matteo Mezzaro tirent avec grâce leur épingle du jeu, donnant à la cantatrice et au chanteur italiens lyrisme et séduction.
Si la mise en scène et le jeu d’acteurs nous semblent souvent en contradiction avec l’esprit du livret et de la musique, Benjamin Pionnier, à la tête de l’Orchestre national de Lorraine, restitue à l’œuvre de Strauss toute sa subtilité, cette grâce nostalgique qui caractérise le jeu recherché de références et de citations, l’émotion et l’apparente légèreté d’une réflexion profonde sur le statut de la musique dans ses relations avec le texte, mais aussi avec la mémoire et avec le silence. La beauté de la fin laisse le public muet un long moment avant que n’éclatent des applaudissements nourris