Elisabeth Schwarzkopf comparait le chant à un sport de haut niveau ; Stéphane Degout démontre au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris qu’il a le cerveau musclé. Centré sur des pièces composées au carrefour des XIXe et XXe siècles, le programme dans lequel il se lance semble un marathon, qui relie Verlaine à François Villon, Mallarmé à Jules Renard, Apollinaire à Tristan l’Hermite et à Léon-Paul Fargue. Dans des habillages harmoniques parfois d’une redoutable complexité, tous ces poètes sont convoqués par cœur. On respecte la prouesse pour elle-même, avant d’en détailler les qualités.
Car ce répertoire si dur, si tendu, si subtilement écrit et si délicatement construit, on a vite fait de le rendre aride. Stéphane Degout souligne au contraire ses couleurs, fait saillir ses rythmes et ses ruptures, projette sur ses moindres recoins les lumières toujours variées d’un timbre qui se joue avec bonheur des clairs-obscurs. Ainsi, « La mer est plus belle que les cathédrales » ouvre le concert avec une pleine franchise, avant de se terminer sur un souffle confident. Le « colloque sentimental », plus loin, impose ses silences inquiétants, et le « Placet futil », son insaisissable ambiguïté. Conforté par le piano pondéré d’Alain Planès qui, tout en modération et en sobriété, offre au chant autant d’incitations à la rêverie, Stéphane Degout peut ensuite montrer combien Debussy découvre génialement les incroyables audaces de François Villon, en offrant des Trois ballades une interprétation dont la force dramaturgique n’est lestée d’aucun écart de style.
Le monde animalier a la part du lion dans la seconde partie : les brèves pièces du Bestiaire de Francis Poulenc ont de quoi amuser, mais n’oublient pas d’être poétiques, en témoigne une « Carpe » lunaire. De même, plus ironiques que bouffonnes, les mélodies de Satie et les Histoires Naturelles de Ravel portent le sceau d’une interprétation foncièrement intelligente, où l’aisance scénique et les facilités vocales, évidentes, ne se rendent coupables d’aucun cabotinage, suprême élégance qui marque encore les bis. Elisabeth Schwarzkopf comparait le chant à un sport de haut niveau ; Stéphane Degout démontre ce soir qu’il a le cœur musclé.