Antérieur au Requiem, à Rusalka, au Concerto pour violoncelle ou aux trois dernières symphonies, le Stabat Mater est l’œuvre d’un Antonin Dvorak déjà trentenaire, mais encore bien loin de la gloire qu’il fera sienne quelques années plus tard. L’œuvre par laquelle, plus précisément, il commence à tutoyer la gloire : en 1884, les premières représentations londoniennes sont un triomphe qui annonce la commande, l’année suivante, de la 7e Symphonie par la London Philharmonic Society.
Avant le couronnement final, quel chemin chaotique pour cette première grande œuvre religieuse du compositeur tchèque ! Une composition affreusement rythmée par la mort de ses trois premiers enfants, un long abandon de la partition avant sa remise sur le métier, une première version, finalement, où le piano se fait seul accompagnateur des voix.
Cette primauté au chant, la version orchestrée l’accorde toujours. Moins opulent, peut-être moins coloré que dans les pièces futures, l’orchestre a l’unité d’un seul instrument, et son écoute pourrait à elle seule défaire l’image d’un Dvorak uniformément rutilant dans ses compositions. Tomáš Netopil n’est pas désoeuvré pour autant : il ne cherche pas à diriger un petit frère caricatural du Requiem de Verdi, et conserve, du tragique de l’introduction à la ferveur du chœur final, une cohérence et une élégance dénuées d’ostentation, même quand il s’agit de ne pas trahir le soupçon de grandiloquence que l’on peut trouver au détour d’un mouvement.
De quoi mettre en confiance des chanteurs mieux que sollicités, sublimés plutôt, toujours au premier rang des plans sonores. Le Chœur de l’Orchestre de Paris, à cet égard, tire profit d’une exposition qui pourrait lui être fatale, où il montre pourtant une unité quasiment chambriste : la plus belle des récompenses pour l’ambitieux travail de Lionel Sow. Du côté des solistes, tout juste aura-t-on noté quelques problèmes d’intonations dans les premières interventions de Dmitry Korchak, des aigus un peu tirés chez Aga Mikolaj, perturbée, au moment d’entamer « Fac, ut portem Christi mortem », par l’évacuation d’une spectatrice qui s’est sentie mal : ces quelques réserves sont vite balayées, pour lui, investi et stylé, comme pour elle, expressive et musicienne. Pas l’ombre d’un doute ne traverse l’esprit de qui entend la voix profonde de Georg Zeppenfeld, tandis qu’Elisabeth Kulman, qu’il faudra s’habituer à ne plus applaudir que dans des oratorios et des récitals maintenant qu’elle s’est détournée de la scène, apporte à « Inflammatus et accensus » une grandeur théâtrale de trop bon goût pour être déplacée. Un Dvorak émacié ? Au contraire : un Dvorak transcendant trouvant, par-delà les tentations de l’excès et de l’extraversion, le chemin du chant. Et les sentiers de la gloire.