Nous sommes sur la planète Zog, à une époque indéterminée. Les végétaux sont devenus rares et leur conservation est réservée à une secte de moines. La population est divisée en deux. D’un côté les hommes qui ont besoin de ces plantes pour respirer. De l’autre les femmes qui s’en passent. Celles-ci sont voilées et indistingables, asservies et maltraitées par les hommes : toutes sauf Léonor, symbole de liberté, qui s’affranchit du voile et défie l’ordre religieux en s’affichant auprès d’Alphonse. Sur la planète Zog, il y a des décors en plastique-bulle d’emballage (géant) qui absorbent les voix ; ou des mur de fours crématoires (pour consumer les plantes) qui font écran pour des chœurs qu’on a du mal à entendre. Il y a des contre-jours puissants qui empêchent de distinguer les chanteurs. Il y a les choses qui sont dites, comme « Jetez un voile noir sur la triste fiancée », et celles qu’on voit (Léonor, souriante, qui se pare d’un voile blanc). Il y a deux danseuses qui s’agitent jusqu’à mourir d’épuisement sous les regards sadiques des hommes. Toute ressemblance avec des représentations de La Favorite existantes ou ayant existé ne seraient qu’une pure coïncidence. Le spectacle est signé Rosetta Cucchi et c’est une coproduction avec l’Opéra Royal de Wallonie à Liège.
Comme dans L’Africaine en ces mêmes lieux, Veronica Simeoni démontre une fois de plus la qualité de sa diction française et sa grande musicalité. En vraie belcantiste, elle offre même une reprise ornée de la cabalette de son grand air. Mais dans ce rôle moins sopranisant, il manque à la chanteuse une assurance dans le grave, une largeur de voix et des aigus dardés qui font les grandes Léonor. Est-ce l’effet d’un agenda récent trop lourd, mais John Osborn n’a pas paru au meilleur de ses possibilités, en particulier dans le registre aigu. Son premier air est un enchantement, mais l’ut dièse est amené si légèrement qu’il en passe inaperçu. Le contre ut de son duo est lancé avec davantage de squillo (ce côté trompettant des aigus de ténor) mais il est écourté ; celui de son dernier air est instable. Seul celui du finale de l’acte III est véritablement satisfaisant. Enfin, les variations sont cosmétiques. Au positif, on retrouve chez le chanteur américain une prononciation française quasi parfaite, une superbe musicalité et un magnifique sens du legato. En Alphonse, Vito Priante tire son épingle du jeu, mais là encore le format vocal est quelque peu insuffisant par rapport aux exigences de l’ouvrage. Glissons rapidement sur l’Inès de la très jeune Pauline Rouillard, ancienne élève du CNIPAL et quasiment inaudible sur cette scène. Simon Lim en revanche campe un Balthazar bien chantant et avec toute l’autorité nécessaire. Signalons également l’excellent Don Gaspar de Ivan Ayon Rivas.
Déjà handicapés par les décors, les chanteurs ne sont pas non plus aidés par la direction de Donato Renzetti. Si la mise en scène évoque un avenir lointain, le chef italien est plutôt resté bloqué au siècle passé : tempi plan-plan, sonorité massive, niveau sonore trop élevé pour les chanteurs (nous ne sommes plus à l’époque de Shirley Verret ou Alfredo Kraus) … Pour ce type de voix, il faudrait un Minkowski, un Rousset ou un Fasolis afin d’alléger le discours musical tout en lui conférant davantage de vivacité. La partition est donnée dans son intégralité, ballet compris. Pour les puristes, il ne manque que la partie rapide duo entre Alphonse et Léonor « Je l’ai juré par le sceptre et l’épée », mais elle avait été coupée à la création (et redonnée lors des représentations à Favart en 1991). Signalons enfin une formation orchestrale excellente et un choeur superbe.
Saluons néanmoins cette résurrection sans coupure et en langue originale, une rareté dans la péninsule italienne où La Fenice reste une salle unique par sa programmation régulière d’opéras français.