Ce compte rendu aurait tout aussi bien pu s’intituler « à bout de souffle » ou « comment brûler son idole » eu égard à la diminution des moyens du rôle-titre. Mais cela aurait été sans compter sur l’admiration sans borne d’un public averti et acquis…
Cette saison encore, Edita Gruberova se livre à son exercice favori au Deutsche Oper, celui d’interpréter une héroïne belcantiste en version de concert. Il s’agit là, bien sûr, d’un prétexte pour permettre à la cantatrice de jeter ses derniers feux dans un rôle qu’elle personnalise à souhait.
Le choix de Norma n’est pas innocent. Les récitatifs qui émaillent la partition – pendant lesquels l’orchestre joue sotto voce – lui permettent de reprendre des forces en donnant ses répliques dans un souffle tellement tenu qu’elles en sont à peine audibles et ne traduisent en rien les colères qui font bouillir Norma. En revanche, dès que l’orchestre et les chœurs unissent leur puissance sonore, elle lance quelques aigus clairs et brillants qu’elle garde en réserve (au prix néanmoins de grimaces disgracieuses qui semblent la vider de toute substance). Le bas médium et le grave – désormais disparus – conduisent la chanteuse à émettre des gloussements et des rengorgements qui se veulent expressifs. Quant au souffle, « casta diva » se charge d’en révéler les limites. Le célèbre aria de Bellini est ici entrecoupé de trop nombreuses et trop bruyantes prises d’air qui permettent à Edita Gruberova d’effectuer les ornementations cristallines et éthérées qui ont fait ses heures de gloire.
Reconnaissons néanmoins sa grande technique et la qualité de ses aigus lorsqu’il s’agit d’accrocher une note élevée, de l’enfler progressivement pour atteindre une déflagration encore pure et percutante, le tout dénué d’un quelconque vibrato.
Ses partenaires jouent également de jeu de la cantatrice. Fabio Sartori, qui campe un Pollione sémillant doté d’une voix pleine et charnue au premier acte, restreint volontairement son débit et sa fougue lors de ses confrontations avec Norma pour ne pas la mettre en défaut. Ses interventions perdent ainsi de leur ardeur et ne dégagent plus d’émotion. Sonia Ganassi, dont le timbre excessivement sombre rend le personnage d’Adalgisa beaucoup trop mature pour qu’elle soit crédible en jeune vierge, valorise, par ce décalage, la voix encore extrêmement limpide et légère de Norma. Marko Mimica campe un chef des druides très honorable aux déclamations convaincantes tandis que Rebecca Jo Loeb et Attilio Glaser soignent leurs courtes apparitions.
Sous la baguette de Peter Valentovic, L’orchestre du Deutsche Oper est également très conciliant avec les effets et les facilités que se ménage la diva. Il n’en réserve pas moins une brillante interprétation aux passages orchestraux qui font la part belle au pupitre des cuivres.
Finalement ce sont les longs applaudissements du public debout et les brassées de fleurs tendues pour rendre hommage à Edita Gruberova qui ont constitué le moment le plus émouvant de la soirée.