Premier opéra du (futur) Maître, Die Feen est un véritable patchwork d’influences dans lesquelles baigne le jeune Wagner. Là Beethoven, là Mozart, là du bel-canto (qui sera encore plus exploité dans Das Liebesverbot) et déjà de-ci de-là la griffe encore un peu rétractée de l’auteur de Tannhauser. Opéra mineur sans doute, mais opéra passionnant pour le spéléologue lyrique, il a l’inconvénient d’exiger des voix capables d’à peu près tout ce que le XIXe siècle demandera : des voix légères et agiles et des formats plus lourds et vaillants, quand il ne faut pas tout simplement posséder toutes ces qualités à la fois.
Une gageure à laquelle l’opéra de Leipzig s’essaie depuis le bicentenaire de la naissance de Wagner en 2013. La reprise de cette saison à l’occasion d’un festival Wagner rassemble des forces satisfaisantes et pour certaines déjà rodées. C’est le cas de Christiane Libor, titulaire du rôle d’Ada au Chatelet en 2009. La maturité a du bon, la soprano berlinoise réalise une quadrature quasi parfaite : souffle et nuances agrémentent puissance et endurance. Pour ne rien gâcher, cette fée ne cesse d’émouvoir, passée la stricte performance technique. Son Arindal penche du côté Wagnérien stricto sensu. Voix massive, aigu claironnant, Endrik Wottrich se perd à mesure que le chant tombe dans le grave. La diction lui pose problème notamment quand les phrases exigent rapidité dans la déclamation. Le reste de la distribution se situe plutôt dans une école mozartienne. Cela convient parfaitement à Jennifer Porto (Drolla) et Milcho Borovinov (Gernot) dont le duo du deuxième acte emprunte pêle-mêle et à Papageno/Papagena et à Pedrillo/Blondchen. Elle légère et fruitée, lui davantage bouffe, s’acquittent avec délectation de leur interlude comique puis soutienne efficacement les tutti. Cela sied un peu moins à Lora (Dara Hobbs) et à Morald (Nikolay Borchev) dont l’écriture est déjà plus lourde. Elle s’en tire avec un usage intelligence d’un timbre épicé, lui sera plus en retrait. La myriade de seconds rôles tiennent leur rang : Farzanna (Jean Broekhuizen) et Zemina (Magdalena Hinterdobler), deux seules rescapées des Trois Dames de La Flûte enchantée, manquent de projection mais pas de nuances ou de couleurs, Gunther (Guy Mannheim) met à profit son timbre de ténor de caractère, la plus agréable surprise revenant au Harlad de Roland Schubert belle basse wagnérienne.
© Kirsten Nijhof
La soirée est de prime abord plus laborieuse en fosse où Friedemann Layer peine à alléger les quelques lourdeurs et longueurs du premiers acte. Problème réglé dès le retour du premier entracte : battue aérienne et tempi plus rapides siéent mieux au Gewandhausorchester dont la beauté des pupitres est mise en valeur par l’acoustique remarquable de la salle. Les chœurs, fortement sollicités, ne sont pas en reste. Tout juste regrettera-t-on un manque de volume quand les effectifs se séparent entre fées et humains.
Tous en tous cas prennent plaisir à être en scène dans la sucrerie imaginée par Renaud Doucet. Un repas de famille dans ce qui ressemble à un salon de catalogue de magasin d’ameublement sert d’entrée en matière : on apprend que nous allons écouter Die Feen en direct de l’opéra de Leipzig. Le père de famille se rêve en Arindal et les personnages, décors et costumes kitchement féeriques envahissent cet intérieur bourgeois. A défaut d’être original ou toujours réussi, l’ensemble fonctionne et garde en permanence un second degré de bon ton.