Rossini était un jeune homme lorsqu’il vint à Vicenza en juillet 1813 pour y diriger au Teatro Eretenio (malheureusement détruit par les bombes en 1944) une série de représentations de L’Italiana in Algeri qui venait de triompher à Venise. En ce mois de juin 2016, pour la XXVe édition des Semaines musicales au Teatro Olimpico, le dernier chef d’œuvre de Palladio sert de cadre à l’ultime chef d’œuvre d’un Rossini septuagénaire, sa Petite Messe Solennelle donnée dans sa version originale. Composée pour la chapelle de l’hôtel particulier du Comte Pillet-Will, dont le fils gérait une bonne part des affaires financières du musicien, elle fut d’abord créée dans leur salon familial. Ces circonstances auraient pu vouer l’œuvre à un académisme de bon aloi. Mais le compositeur qui vivait depuis longtemps sur les lauriers de son passé glorieux allait trouver en lui les ressources d’énergie et d’invention nécessaires à faire de sa « dernière fatigue » une œuvre singulière où il réaffirme sa personnalité, contre l’évolution du goût qui l’avait amené à se mettre en retrait. C’est une somme de ce qu’il aime et de ce qu’il sait faire qu’il rassemble avec une maîtrise et une malice qui semblent autant de pieds-de-nez à ceux qui le croient fini. Entre souvenirs, citations et trouvailles, il rend hommage à son professeur de contrepoint, à Bach, à Mozart, et ose pour le piano des audaces rythmiques qui anticipent largement sur l’avenir. Avec seulement douze chanteurs, deux pianos et un harmonium il traite l’ensemble des textes liturgiques inscrits au rite et multiplie les effets sonores en variant sans relâche les entrées vocales, soli, duos, trios, quatuors, chœur féminin, chœur masculin, chœurs confondus, a cappella, avec instrument unique, en duo ou en trio. Il se dégage de cette composition, écrite par un homme âgé et malade, une impression de force paradoxale, idéale pour exprimer celle de la foi ancrée en lui.
Le bonheur de cette exécution à Vicenza découle de l’option de Giovanni Battista Rigon, le chef d’orchestre qui est directeur artistique des Settimane Musicali. N’ayant pas les moyens d’engager, comme ce fut le cas à la création, des noms fameux, il a eu l’idée, certainement conforme aux désirs du compositeur, de recruter ses chanteurs parmi les élèves d’un conservatoire. Il en a trouvé onze sur douze au Benedetto Marcello de Venise, le douzième étant déjà en carrière depuis peu. Est-ce leur jeunesse, est-ce l’émulation, est-ce le plaisir de participer à une manifestation qui fait partie des Festivals Européens, leur engagement est entier. Le résultat est une interprétation où les quelques défauts, là une voix qui devient nasale dans la zone aigüe, là une voix trop gonflée qui s’engorge fugitivement, là une ostentation mal tenue en laisse, ne sont que peccadilles en regard de l’émotion qui naît du sérieux de l’investissement d’apprentis talentueux et zélés. Pour tout dire, dans ce décor étranger au culte catholique c’est la première fois que nous ressentons aussi directement le caractère liturgique que le brillant de l’écriture peut faire oublier. Mais c’est sans nul doute la direction passionnée de Giovanni Battista Rigon qui génère la réussite : il impose d’emblée un rythme soutenu, dont la fermeté stricte fait des textes rituels et de leur enchaînement une nécessité organique constitutive de la célébration. C’est un spectacle fascinant de voir comment il fait progresser l’œuvre, en modèle inlassablement les nuances, rendant lumineuse la richesse complexe de la composition, et comment chanteurs et instrumentistes – excellents pianistes, en particulier Alberto Boischio – en révèlent par leur précision tous les détails d’orfèvrerie. Alors, sans doute pourra-t-on déplorer une défaillance de ses soufflets qui transforment l’harmonium en bandonéon, surtout dans la perspective de la publication d’un enregistrement. Il reste encore une exécution de cette Petite Messe Solennelle. Le problème sera-t-il résolu d’ici-là ? On le souhaite, car une réalisation aussi mémorable mérite d’être conservée !