Le festival d’Erl est fréquenté essentiellement par des habitués, tant côté spectateurs qu’interprètes. Le Ring y a été donné de très nombreuses saisons, et revient actuellement chaque année pour une seule série. Il s’agit donc d’un énorme travail de mise au point pour une seule représentation du cycle. On comprend que, dans ces conditions, il soit financièrement nécessaire de reprendre toujours la même production, et tout aussi tentant d’engager souvent les mêmes interprètes. C’est ce qui se passe cette année, avec la reprise du Ring créé en 2003 et encore donné il y a deux ans, avec simplement de tout petits ajustements dans la mise en scène et des améliorations des éclairages de Gustave Kuhn – véritable homme-orchestre. Treize ans après, sa mise en scène, qui se déroule devant l’immense orchestre étagé en fond de décor, tient plutôt bien la route. Ce sont surtout certains décors lourds et costumes vulgaires (difficile kitchissime final de la Walkyrie avec ses harpistes en immenses robe orange !) qui ont le plus vieilli. De plus, l’attribution de certains personnages figurant dans le prologue et les trois journées à des chanteurs différents, accentue le côté patchwork de l’ensemble auquel il est bien difficile d’attribuer une note cohérente. À noter la mise en place cette année d’un surtitrage allemand-anglais pour le Ring, italien-allemand pour les opéras en italien.
Das Rheingold, les Filles du Rhin et Alberich © Photo Tiroler Festspiele Erl / APA-Fotoservice / Xiomara Bender
Dans Das Rheingold, nous retrouvons donc les Filles du Rhin (Yukiko Aragaki, Michiko Watanabe et Misaki Ono), juchées sur des échelles doubles comme si elles s’apprêtaient à repeindre le plafond de leur maison de campagne, sauvant la mise par leur grâce et leur chant. Mais dès son entrée en scène, Thomas Gazheli donne au rôle d’Alberich une telle importance qu’on ne peut plus s’en détacher. Teigne excitée et veule, entre Guy Marchand et Louis De Funès, il magnétise le public autant par sa voix incisive que par sa présence scénique : une exceptionnelle incarnation. Les personnages transformés en dieux du sport (Fasolt, l’extraordinaire Fafner d’Andrea Silvestrelli, Froh et Donner) donnent à l’ensemble un petit côté Marx Brothers plutôt amusant et bien en situation. Et l’on retrouve avec plaisir le couple infernal Wotan (Michael Kupfer-Radecky) et Fricka (Hermine Haselböck), qui vieillissent plutôt bien ensemble dans leur mobilier de jardin des années 70. Les voix ont peut-être un peu perdu en souplesse et en puissance, mais restent d’une infinie musicalité, tandis que leur jeu est tout aussi prenant ; Fricka, hôtesse désabusée noyant son ennui dans l’alcoolisme social et rapidement dépassée par la situation, est fort drôle, d’autant plus dans l’environnement mafieux gravitant autour d’elle, avec notamment l’excellent Loge de Johannes Chum, à la voix claire et cinglante. Giorgio Valenta, parfait en Mime, Joo-Anne Bitter (Freia) et Alena Sautier (Erda) complètent cette belle représentation accompagnée d’un orchestre en pleine forme.
Die Walküre © Photo Tiroler Festspiele Erl / APA-Fotoservice / Xiomara Bender
Mais le lendemain, avec Die Walküre, les choses se corsent du fait que l’orchestre paraît un peu fatigué, et que Gustave Kuhn semble avoir du mal à le dynamiser. Il faut dire aussi que ce type d’orchestre fait essentiellement de musiciens rassemblés pour l’occasion, ne peut être d’égale qualité chaque année (problèmes surtout dans les vents). Une belle première partie avec le Siegmund bien en situation et bien chanté mais manquant un peu de projection, d’Andrew Sritheran, la Sieglinde humaine et bien en voix de Marianna Szivkova, et l’excellent Hunding de Raphael Sigling. Le Wotan de Vladimir Baykov est moins nuancé mais plus sonore que celui de la veille, et la Fricka en combinaison de motard rouge vif d’Hermine Haselböck est tout à fait égale à elle-même. Un bon groupe de Walkyries à vélo, à la fois bien chantantes et pleines d’humour, viennent détendre l’atmosphère, assez tendue depuis l’entrée ratée de leur (con)sœur Bettine Kampp, la Brünnhilde de ce soir. Le manque de puissance – ou tout simplement le manque de voix, totalement inadaptée au rôle – de la cantatrice est tout à fait rédhibitoire. Et avec une Brünnhilde peinant à la tâche jusqu’à la fin, sauf dans quelques moments moins exigeants vocalement, la représentation perd l’essentiel de son intérêt.
Siegfried (Gianluca Zampieri) © Photo Tiroler Festspiele Erl / APA-Fotoservice / Xiomara Bender
Pour Siegfried, une forge complète le décor métallique de la production. On a vu des Mime plus retords, méchants et agressifs que Wolfram Wittekind, mais il joue plus dans le registre paternel, accompagnant le jeune Siegfried qui paraît un peu demeuré, jouant avec le même ours en peluche que celui de Mr Bean. Gianlucca Zampieri se tire fort bien de ce rôle long et difficile, en lui donnant au début – malgré lui ? – un petit côté italien qu’il gomme rapidement au cours de la représentation. Ce n’est pas le Siegfried du siècle, mais du bon travail, solide et convaincant. Thomas Gazhelli a abandonné Alberich pour Der Wanderer, qu’il personnifie avec force, même s’il est encore supérieur dans des rôles plus de composition. Nancy Weissbach est une Brünnhilde solide et émouvante, tandis que la belle voix de contralto de Reina Kleifeld, pas encore assez travaillée, nous offre une Erda particulièrement présente.
Mona Somm, Brünnhilde (Götterdämmerung) © Photo Tiroler Festspiele Erl / APA-Fotoservice / Xiomara Bender
Enfin, Götterdämmerung termine le cycle sur une note mitigée. Nous avions eu une Wakküre sans Brünnhilde, aujourd’hui, nous avons une Brünnhilde idéale, mais pas de Siegfried ! Mona Somm, authentique tragédienne lyrique, remporte un véritable triomphe. Car elle est Brünnhilde, tout simplement. La voix est à la fois forte et musicale, les intonations sont justes, la personnification scénique parfaitement en situation, et l’on regrette d’autant plus qu’elle n’ait pas été programmée deux jours auparavant. Oublions George Humphrey qui n’a pas la voix pour Siegfried et n’est pas le personnage, et considérons sa contre-performance comme une erreur de casting. Michael Kupfer-Radecky est un excellent Gunther, et Susanne Geb une Gutrune très convaincante. Soulignons enfin les belles prestations d’Andrea Silvestrelli (Hagen), de Svetlana Kotina (Waltraute) dans son duo avec Brünnhilde, et de Rena Kleifeld en Première Norne.
Ce sont toutes ces disparités de distribution qui expliquent finalement un sentiment mitigé, alors que l’ensemble est une magistrale réalisation, une épopée que l’on suit sans ennui et même avec grand intérêt.
En 2017, la reprise de ce Ring est annoncée les 13, 14, 15 et 16 juillet. La location est déjà ouverte avec des tarifs particulièrement attractifs pour les jeunes : entrée gratuite pour les enfants jusqu’à 10 ans, 25 euros le spectacle, 80 euros le cycle complet pour les 10-18 ans et les étudiants jusqu’à 30 ans.