Il est étonnant que Les Indes galantes figurent parmi les ouvrages les plus populaires de son auteur. Si ce « ballet héroïque » créé en 1735 à Paris, a été la première œuvre de Rameau à gagner une nouvelle popularité au XXe siècle, bien d’autres auraient dû depuis lui voler la vedette, tant musicalement que dramatiquement. A moins que l’exotisme du livret soit la raison de l’engouement. C’est là précisément le choix que Sidi Larbi Cherkaoui n’a pas fait. On avait bon espoir de trouver un chorégraphe inspiré, et nous aurons surtout vu l’œuvre d’un metteur en scène maladroit, cherchant absolument à donner une cohérence dramatique à ce qui n’est qu’un enchaînement décoratif et symbolique. Un salmigondis politique se substitue alors au galimatias folklorique autour de chorégraphies assez répétitives, malgré de très bons danseurs. Si le prologue commençe plutôt bien (Hébé est une institutrice qui se refuse à voir partir ses élèves à la guerre, appelés par la militaire Bellone), on a déjà du mal à comprendre ce que le président des Etats-Unis fait là, et le voir revenir en Adario ne nous éclaire pas plus. Par la suite, Amour se transformera en Dame Pipi de toilettes qui deviendront confessionnal, d’où sortira le prêtre Huascar lequel mariera Valère et Emilie, etc. Si cette volonté de tisser des liens dramatiques entre les actes est louable, elle ajoute de la complexité, un même chanteur chantant plusieurs rôles, sans compter le thème des réfugiés qui vient s’ajouter après l’entracte. Quand bien même tout ce beau monde essaye de retrouver ses petits dans le final, la logique dramatique de l’ensemble nous a échappé. Enfin beaucoup d’accessoires qui auraient pu instiller une vraie poésie dans ces danses, sont souvent confinés au rôle de gadgets gaguesques (les Segways par exemple) ou trop utilisés (les vitrines, la bâche bleue, le swiffer) ou totalement inutile (l’immense hélice au dessus de la scène). Bref, beaucoup (trop) d’idées éparpillées pour un divertissement léger, lequel peut accueillir quelques réflexions politiques ou sociales (ce qu’avait très bien réussi Laura Scozzi par exemple), mais doit rester un kaléidoscope rafraîchissant propre à susciter l’émerveillement. Les décors et costumes années 60 d’Anna Viebrock (qui travaille beaucoup avec Marthaler) et Greta Goiris sont évidemment aux antipodes de cette logique.
© Wilfried Hösl
Côté chanteurs, la donne est plus heureuse : ont été appelés à la fois des valeurs sûres françaises, mais aussi des noms bien connus outre-Rhin et des débutants prometteurs. Parmi ces derniers, on a beaucoup apprécié l’élégance de l’Adario de John Moore, la Bellone virago et sonore de Goran Jurić, l’Osman très doux de Tareq Nazmi ou la noble Emilie d’Elsa Benoit. Mais il faut tout de même remarquer que personne ici n’est très attentif à l’intelligibilité de son texte, et si certains font des efforts pour articuler, l’intonation erronée ne permet pas au spectateur francophone de comprendre les paroles. On fera le même reproche au chœur Balthasar-Neumann de Freiburg, cependant très riche harmoniquement. Déjà connue des amateurs de coloratures, Lisette Oropesa peine à briller en Hébé, sans doute aux prises avec la langue française. Reste une actrice assez précise et très convaincante. Anna Prohaska brûle davantage les planches notamment dans le très bel air de Phani qu’elle habite intensément ou dans le « Papillon inconstant » de Fatime. Ana Quintans campe un amour capiteux. François Lis cherche trop les graves requis pour Huascar mais garde son style impeccable. Cyril Auvity jouit toujours d’une voix enchanteresse qui semble ne pas vieillir, la projection est radieuse, le français limpide, et l’engagement dramatique réel, malgré la niaiserie de ses rôles. Mêmes qualités pour Mathias Vidal, à deux doigts de transformer un Carlos commun en héros mythologique par la vigueur de ses accents.
A l’orchestre aussi, l’opéra de Munich a bien fait les choses : il n’est qu’à voir Marie-Ange Petit aux percussions pour se convaincre que le Münchner Festspielorchester n’a rien d’une formation d’amateurs pour intermittente qu’elle soit, et les nombreux morceaux à effectifs réduits prouvent l’excellence des solistes. Ivor Bolton demande à cette quarantaine de musiciens un son très rond dans lequel le clavecin n’est pas surexposé et les équilibres entre les pupitres sont bien organisés. Revers de la médaille, cela manque parfois de verve et de contrastes pour certaines danses. La fin de l’opéra est symptomatique : la danse des sauvages fut étonnamment molle, jouée en sourdine (sans doute pour coller au texte, mais la beauté de ce morceau provient justement selon nous de cette contradiction fertile avec la musique, c’est une joie acharnée), tandis que la grande chaconne fut impériale, très rythmée et impressionnante, faisant presque oublier tous les tunnels de l’oeuvre. Chapeau les artistes !