C’est par une soirée en demi-teinte que commence la saison de concerts de l’orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon. On se réjouissait de réentendre une œuvre devenue rarissime à l’affiche depuis le milieu du siècle dernier, Le Chalet, d’Adolphe Adam. Pour étoffer le programme, après l’ouverture de Lakmé les solistes sont mis à contribution dans trois airs de cette œuvre, un duo des Pêcheurs de perles, un air de Chérubin et un trio du Toréador. Sont-ils fatigués par les séances de travail destinées à l’enregistrement du Chalet pour le label Timpani ? Une annonce informe le public d’une indisposition vocale de Jodie Devos et l’air de Lakmé dit des clochettes l’oblige en effet, en dépit d’une maîtrise technique qui laisse intacte la souplesse et le dosage de l’émission, à une prudence perceptible dans le suraigu, où les notes sont atteintes mais à peine tenues. On pourrait d’ailleurs se demander s’il était raisonnable, compte tenu de son malaise, de maintenir le programme tel quel. Mais ni Sébastien Droy ni Ugo Rabec ne semblent en meilleure forme. Le ténor cisèle « Fantaisie aux divins mensonges » mais l’émission serrée, la projection courte sont soulignées par la lenteur pesante qu’impose le chef d’orchestre. Quant au baryton, sa voix semble bien claire et peu imposante pour Nilakhanta dans « Ton doux regard se voile ». Le duo suivant « Ton cœur n’a pas compris le mien » qui réunit Nadir et Leïla expose moins Jodie Devos, qui se détend, mais Sébastien Droy ne se libère toujours pas et là encore la lenteur de la direction plombe le lyrisme. L’extrait de Chérubin ne sollicite guère l’aigu et Jodie Devos peut faire admirer l’expressivité de sa voix. Réunis pour le trio bouffe du Toréador les trois artistes s’y montrent efficaces mais les hommes manquent un peu de brio, surtout Ugo Rabec que les graves du rôle de Belflor poussent dans ses retranchements, en regard de leur partenaire qui semble libérée de ses craintes, à en juger par la crânerie de sa vocalisation funambulesque.
Ces réserves ne seraient sans doute pas primordiales si l’écriture vocale, pour Adolphe Adam, ne se référait encore, même allusivement, au modèle de la virtuosité italienne adaptée au goût français par Rossini. C’est perceptible dans Le Toréador, de 1849, et plus encore dans Le Chalet, de 1834. Ce n’est pas que le musicien adhère par conviction à cette esthétique ; mais en user revient pour lui à exploiter la recette du succès, celle qui lui permettrait d’atteindre son objectif tel qu’il l’expose dans sa correspondance avec le bibliothécaire du Roi de Prusse, s’enrichir, et pour cela dépouiller ses compositions de tout ce qui pourrait déconcerter le public. Aucun risque avec Le Chalet. Même si le sujet dérive d’une œuvrette de Goethe, Max joue un peu le même rôle qu’Alidoro dans Cenerentola, celui d’un révélateur et d’un guide. L’œuvre a en commun avec Guillaume Tell, toujours à l’affiche, le Tyrol suisse et avec Le Comte Ory un chœur à boire, outre un librettiste dont la prosodie est familière aux auditeurs. Scribe a même écrit le texte du Philtre, deux ans plus tôt, avec un personnage malheureux en amour qui veut devenir soldat. C’est donc tout naturellement qu’Adam glisse dans Le Chalet tyroliennes et marches militaires, un genre qui plaît, à l’heure de la conquête de l’Algérie et de la nostalgie autour des cercueils des survivants de la Grande Armée, et qui a le grand avantage d’entraîner l’auditeur sans lui laisser le loisir de mesurer la faible pertinence du livret, exclusivement destiné à l’amuser. A cet égard, de petits rires étouffés attestaient que l’impact comique de certaines répliques est toujours intact, aussi peut-on protester avec d’autant plus de force contre quelques modifications du texte probablement destinées à le moderniser mais d’une inutile vulgarité. Cette efficacité comique dépendait évidemment des solistes ; chacun à sa mesure a composé et campé son personnage. Comme lors de la première partie, Ugo Rabec se révèle le maillon faible, la projection restant limitée et l’agilité, si nécessaire, nettement déficitaire. En revanche Sébastien Droy semble avoir retrouvé l’influx et la projection qui lui avaient fait défaut, usant à bon escient de voix mixte, de voix de tête ou de falsetto pour la zone la plus aigüe, comme c’était encore l’usage dominant à l’époque de la création. Ses mimiques sont justes et il donne une image amusante sans être caricaturale du brave garçon. Jodie Devos ne lui cède en rien pour l’expressivité et parvient à communiquer les états d’âme successifs, la détermination, la colère, la frayeur, l’émoi amoureux qui n’ose s’avouer, tant par un jeu de comédienne que par la mobilité d’une voix en prise avec la sensibilité. Ses atouts techniques lui permettent de briller dans les agilités dont Adam a gratifié Betly. La direction de Guillaume Tourniaire évite ici les alanguissements regrettés en première partie et conserve à l’œuvre le rythme allant que même les épanchements sentimentaux ne peuvent entraver. Il obtient une belle réponse de l’orchestre, déjà remarquable dans l’ouverture de Lakmé donnée en introduction au concert lyrique, ainsi que des chœurs, manifestement bien préparés. Accueil très chaleureux, joyeuse satisfaction de ceux qui découvraient l’œuvre – dernière exécution à Toulon en 1962 –, voilà qui pouvait adoucir la déception d’une affluence moyenne. Il reste à souhaiter que l’enregistrement, réalisé avant le concert, soit exempt des approximations constatées.