Gonflé, effectivement, Offenbach l’était lorsqu’il composé cet Orphée aux Enfers qui fit scandale : railler la sacro-sainte mythologie… A travers la gabegie des Dieux, critiquer la famille impériale… Shocking ! Cette dimension satirique n’est plus vraiment perceptible pour le spectateur d’aujourd’hui. Dans l’importante coproduction réunissant Nancy-Lorraine, Montpellier et Angers-Nantes Opéra, Ted Huffman choisit d’évoquer la décadence à travers ses costumes : les divinités de l’Olympe sont gonflées à l’hélium rendant immédiatement perceptibles leurs outrances, leurs ridicules. Le metteur en scène est également un excellent directeur d’acteur et ses pantins obèses sont d’une drôlerie irrésistible.
L’idée de décadence prévaut sans doute également dans le choix du décor imaginé par le duo de designer Clément & Sanôu même si les années 1930 évoquent plus la crise économique que la décadence dans l’imaginaire collectif. L’action se déroule dans un somptueux hôtel art-déco, dont le hall accueille le premier tableau censé se passer sur terre, parmi les simples mortels. Il suffit de prendre l’ascenseur pour monter jusqu’à l’Olympe – le marbre des murs évoquant alors avantageusement les nuages associés à l’imagerie mythologique – ou encore descendre au bar des Enfers. Le concept est sympathique à défaut d’être révolutionnaire, sa mise en oeuvre fastueuse, au diapason de costumes splendides, en particulier dans le dernier tableau où les artistes du choeur, jusqu’alors clients ou personnels de l’hôtel, se muent en un époustouflant bestiaire.
© Jef Rabillon pour Angers Nantes Opéra
Dans ce cadre brillant, le plateau vocal se révèle à la fois homogène et d’une remarquable qualité. Mathias Vidal endosse le costume de rocker gothique de Pluton avec un plaisir évident, il déploie sans effort une palette éminemment séduisante alliée à des aigus faciles. Franck Leguerinel campe un Jupiter tout en dérision, mais en pleine possession de ses moyens vocaux : quel phrasé ! La partie dévolue à Orphée est moins loufoque mais Sébastien Droy y insuffle une grande élégance tant vocale que scénique. Sarah Aristidou reprend le rôle tenu par Alexandra Hewson lors des précédentes représentations à Nancy et Montpellier. Son Eurydice, pleine d’aplomb, bénéficie d’aigus fastueux et d’une belle intelligence de la vocalise, toujours justifiée dramatiquement. Seul bémol, cette pyrotechnie dans le registre haut donne, par contraste, l’impression d’une petite faiblesse dans le médium, un peu éteint.
Les petits rôles abondent dans l’oeuvre et sont tenus par une jeune garde du chant français très en forme. Les déesses de l’Olympe sont toutes plus séduisantes les unes que les autres en dépit de leurs oripeaux de bibendum : Le Cupidon de Jennifer Courcier ravit par sa vivacité et son charme ; la Diane d’Anaïs Constans est irrésistible de drôlerie ; Lucie Roche, en Vénus, cabotine avec brio tandis qu’Edwige Bourdy campe une Junon bouillonnante. L’Opinion publique/femme de ménage incarnée par Doris Lamprecht est tout aussi enthousiasmante. Chez les hommes, même plaisir sans mélange : Marc Mauillon offre un parfait Mercure et Flannan Obé réussit le tour de force d’émouvoir avec son John Styx/porc-épic. Les artistes s’amusent visiblement et sont vocalement impeccables, tant en terme de projection que d’articulation. L’on regrette qu’Offenbach n’ait pas développé les parties de tant d’artistes talentueux !
Le choeur d’Angers-Nantes Opéra profite lui aussi d’un travail scénique ciselé. Le premier tableau, notamment, avec ses arrêts sur image extrêmement réussis, le met tout à fait en valeur tout comme les extraordinaires costumes du troisième tableau où les Enfers se transforment en une ménagerie fantaisiste et somptueuse. Le quadrille des homards nous emmène du côté d’Alice aux Pays des Merveilles, l’on ne sait plus où donner des yeux tandis que l’oreille se régale d’un galop enlevé à souhait. Cette réussite est également à porter au crédit de Laurent Campellone dont la direction joue de nombreuses nuances ainsi que d’une étude fine des tempi, afin d’offrir la palette la plus riche possible à l’Orchestre des Pays de la Loire. Le pupitre des vents profite particulièrement de cette intelligence musicale avec des moments d’une grande délicatesse.