Peu produit dans nos contrées, King Arthur représente une vraie difficulté pour nos scènes actuelles : assemblage musique/théâtre, texte et histoire qui invitent les metteurs en scène à des « modernisations » (pour le pire ou le meilleur), et final construit autour de ce qui passe, avec notre grille de lecture contemporaine, comme un nationalisme nauséabond. La Staatsoper de Berlin a cherché deux artisans pour résoudre l’équation : René Jacobs (on y reviendra) et Sven-Eric Bechtolf épaulé de Julian Crouch.
Venu de la télévision et du théâtre, prolixe à l’opéra depuis, le metteur en scène excelle tant à diriger la troupe allemande (au jeu trop histrionique à notre goût) que les chanteurs. La réalisation des décors, des lumières et des effets est un ravissement de chaque instant qui arrache des exclamations béates notamment chez les plus jeunes spectateurs. Le duo de metteurs en scène à recours à un procédé contestable, mais efficace en l’occurrence : ils changent la situation d’énonciation. Fi du XVIIe siècle ou d’un roi Arthur fantasmé, nous voici en pleine Seconde guerre mondiale et l’enfant Arthur vient d’apprendre la mort de son père aviateur. Dans la tristesse et le déni, il inquiète toute la famille. Son grand-père (Merlin dans la pièce) vient à l’aide de sa mère (Emmeline) désemparée. Il lui raconte l’histoire d’Arthur (auquel l’enfant identifiera son père) parti sauver Emmeline des griffes d’Osmon. On peut regretter cette injure faite au livret mais Il faut reconnaître que tout cela marche à la perfection et permet des transitions saisissantes entre le monde réel et la fantasmagorie arthurienne, comme ce parachute d’aviateur, qui d’un projecteur se métamorphose une toile de fond forestière d’une beauté à couper le souffle. Ce rendu cinématographique est présent également dans les costumes. À voir le bestiaire assemblé par l’équipe technique (Grimbald est vraiment répugnant à souhait) on pense au film Le labyrinthe de Pan, d’autant que l’invention initiale sert le même but : un enfant en proie à la dureté du monde, s’évade et supporte l’intolérable grâce à l’imagination. Mais, un mensonge restant un mensonge, au final la veuve épousera son nouveau prétendant pendant qu’Arthur s’imaginera aviateur… Saint-Exupéry n’est pas très loin. Au moins, au cours de ce dîner de famille recomposée qu’est l’acte V, les textes chauvins qui aujourd’hui nous titillent, sont mis à distance. L’un d’entre eux devient une publicité radiophonique. Autre victime de ce tour de force des metteurs en scène : l’humour, fort peu présent hormis au travers des personnages méchants, le dégoûtant Grimblad et Osmond dans sa scène de priapisme.
© Ruth Walz
Tout cet ensemble tient grâce à l’autre support de la soirée : René Jacobs. À la tête d’une Akademie fur Alte Musik Berlin subtile, soyeuse et piquante quand il faut, le chef irrigue tant et si bien l’action que l’on oublie la longueur de l’ouvrage. Le chef a lui-même présidé aux arrangements de cette version (on entonne « happy birthday » en l’honneur d’Arthur au tout début), seul compte le théâtre et le chef ne s’autorise aucun hédonisme. L’air du Génie du Froid est pris sur un rythme plutôt rapide, où la basse avance mordante et le dispute à l’évocation du chanteur sur scène. À quelques exceptions près (Johannes Weisser bien plus à l’aise en Eole qu’en Génie), la distribution satisfait pleinement à toutes les exigences tant vocales que scéniques. Se détachent bien entendu les interprètes les plus sollicités : Anett Fritsch dont le Cupidon (entre autres rôles) est fruité et Robin Johannsen, dont le timbre plus doux et rond épouse les traits des prêtresses, bergères, sirènes et nymphes qu’elle incarne. Le trio masculin principal de la distribution trouve en Benno Schachtner un contre-ténor à la voix cristalline, quand Mark Milhofer et Stephan Rügamer distinguent leurs tessitures identiques par la caractérisation. Enfin le Staatsopernchor est tant présent et de qualité que c’est avec naturel qu’on pourrait croire que ces solistes font partie de ses membres. Il contribue pleinement à la féerie vocale et scénique de ce King Arthur.