Pour cette soirée, le festival Présences nous conviait à une expérience temporelle, faisant côtoyer le 17e et le 21e siècle. The Tempest Songbook est ainsi un recueil basé sur la Tempête de Shakespeare, mis en musique par Saariaho et… Purcell. Et même si les dernières recherches musicologiques ont montré que cette dernière attribution est plutôt douteuse, le grand écart reste toujours aussi frappant. La question principale qui se pose est donc de savoir comment enchaîner des styles si différents, sans rupture trop brutale entre la musique baroque anglaise et l’esthétique spectrale de la compositrice finlandaise.
Cette absence de rupture on le doit surtout au Suomalainen barokkiorkesteri (comprenez l’Orchestre baroque de Finlande) qui, mené par Antti Tikkanen au violon, s’investit autant dans les pièces de Purcell que celles de Saariaho. Notons tout particulièrement une Chaconne en sol mineur étrangement belle, ainsi qu’une Fantasia et un Great Neptune finement caractérisés. Côté Saariaho, on est surpris par les textures empoisonnées de Ariel’s Hail ou par l’atmosphère flottante de Caliban’s Dream. On se rend peu à peu compte que c’est l’unité de l’instrumentation qui rend l’enchaînement entre les deux compositeurs très naturel (il s’agit pour Saariaho d’une version recomposée pour instruments anciens). L’écueil dangereux d’une soirée décousue est donc soigneusement évité grâce à la musicalité de nos interprètes instrumentistes.
Mais qu’en est-il des chanteurs? Nous avions été assez déçus par la performance de Marisol Montalvo au concert Quatre instants. Nous avions été en revanche conquis par la voix de Davóne Tines dans True Fire. Nous voilà à nouveau désappointés. Pourtant, Gabriel Suovanen montre dans Bosun’s Cheer (entièrement en Sprechgesang) une présence scénique fort sympathique et une voix plutôt robuste. Mais les pièces suivantes le verront mis en difficulté par sa tessiture aigüe. Caliban’s Dream commence bien mais fait déjà poindre l’essoufflement (à partir du ré aigu) et on est un peu consterné par les vocalises pachydermiques dans Purcell. Le jeu d’acteur sincère et naturel ne permet pas de compenser cette carence, et la diction a tendance à avaler les consonnes fermées.
Pia Freund, pourtant spécialiste de la musique de Saariaho comme de Purcell ne convainc pas davantage. La voix est usée à coups de grands rôles, rendant le timbre métallique et peu agréable. Malgré les efforts de prononciation (on retiendra tout de même Ariel’s Hail), on sent que la soprano finlandaise n’est pas vraiment à sa place ici. Ajoutons enfin des vocalises chaotiques dues à un amincissement artificiel de la voix, ainsi que des minauderies passablement énervantes en guise d’incarnation scénique.
Tirons le bilan de cette performance vocale en la considérant sur son ensemble. Les deux chanteurs sont indubitablement plus à l’aise dans la musique de leur compatriote que dans celle du compositeur anglais. Cela ne nous étonne qu’à moitié. Rares sont les artistes capables du grand écart temporel : Cathy Berberian, Ian Bostridge ou encore Patricia Petibon peuvent se targuer de faire figure d’exception. La réussite de l’interprétation de ce Tempest Songbook tient probablement plus du choix des interprètes vocaux comme instrumentaux que de la qualité (indubitable) de la musique.