Après la version de concert de l’oratorio Theodora proposée dans le cadre de la 40e édition du festival Haendel au Staatstheater de Karlsruhe, c’est à la production inédite de l’année qu’on assiste en ce samedi après-midi, 25 février, dans une salle comble. Cet autre oratorio bénéficie cette fois d’une mise en scène dont on remarque immédiatement le caractère spectaculaire du décor. La scène circulaire mobile est ainsi habillée d’une demi-coupole qui lui confère des allures d’hémicycle. L’impression est celle de se trouver dans l’intérieur du Panthéon de Rome croisé avec le bureau ovale de la Maison blanche. La grande réussite du décor de Gideon Davey est de donner une sensation de gigantisme combinée avec des dimensions à taille humaine, nécessaires au bon déroulement des scènes intimistes de l’ouvrage. Par ailleurs, le jeu des lumières d’Alex Brok contribue habilement à ciseler des ambiances froides autour des immortels et de chaudes éclaircies pour la très humaine Semele et son entourage. Décors, costumes et lumières évoquent l’univers de Hitchcock et les années 1950, mais aussi des blockbusters plus contemporains tels Mission impossible. On pense évidemment aux Kennedy et à Marilyn dans la caractérisation des personnages, alors que le metteur en scène Floris Visser affirme s’appuyer plutôt sur l’affaire Monica et les Clinton ainsi que la série House of Cards. Pour le metteur en scène, cet oratorio a tout d’un opéra et il est ici traité comme tel. Il faut dire que les idées ne manquent pas et que l’on ne connaît aucun temps mort. Mais l’ensemble ressemble tout de même beaucoup à la mise en scène maintenant devenue un classique de Robert Carsen. L’agitation bourdonnante de la messagère Iris, par exemple, jusqu’à son petit tailleur serré, nous sont plus que familiers. Il en va de même pour les journaux à scandale ou les photos prises par les espions et tant d’autres détails qui sont directement inspirés de la production d’Aix. Cet hommage appuyé ou ces emprunts caractérisés ne sont pas un problème en soi, sauf que l’on s’amuse bien moins ici qu’avec la version précitée : on sourit bien davantage que l’on ne rit franchement. Ces réserves mises à part, il faut admettre que l’ensemble se tient bien et fait sens.
© Falk von Traubenberg
En Semele, Jennifer France fait merveille. Tour à tour charmante, d’une naïveté irrésistible ou d’un narcissisme insupportable, son abattage scénique est remarquable. La voix, flexible et affirmée, n’est pas en reste et la soprano campe une héroïne aux facettes contrastées, sans jamais faiblir. Doté d’un physique de rêve, Ed Lyon se tire avec les honneurs du rôle exigeant de Jupiter. Ni falot, ni puissamment divin, il est constamment en représentation et sous contrôle. Il nous réserve cependant de beaux moments d’émotion quand il se trouve contraint de foudroyer Semele. Katharine Tier est, pour sa part, impériale en Junon. On retiendra essentiellement le jeu scénique de la mezzo australienne, même si elle se tire avec les honneurs des chausse-trapes de la partition et notamment du redoutable « Hence, hence, Iris hence away ». Hannah Bradbury papillonne délicieusement et campe une Iris honorable avec une ligne de chant suffisamment agile. En revanche, Dilara Baştar propose une Ino bien fade vocalement. Les autres seconds rôles se montrent à la hauteur de leur tâche mais on retiendra surtout la présence de Yang Xu, dont les accents caverneux magnifient le rôle de Somnus.
Les chœurs laissent une très bonne impression de cohésion et de présence efficace, toujours en phase avec les solistes, d’autant plus remarqués qu’ils sont constamment sollicités par de nombreux changements de costumes. De même, on peut souligner la belle unité de l’orchestre, efficacement et sobrement conduit par Christopher Moulds. Cela dit, on aurait aimé plus de fantaisie et de surprises dans cette prestation. Au final, l’impression reste mitigée devant un spectacle de belle qualité mais bien (trop) sage.