Créée en 1991 et reprise une première fois en 2005, la mise en scène de Mitridate par Graham Vick est d’une originalité restée intacte : décors très stylisés, costumes évoquant un baroque imaginaire (on associe bien ce type d’esthétique à la grande époque des castrats), couleurs vives, primaires, où domine le rouge vif. Si les romains sont reconnaissables par leurs armures, les citoyens du Pont sont plus variés dans leurs choix vestimentaires : Inde, Japon, Bali… Est-ce une façon de pointer l’hétérogénéité du royaume, qui ne s’étendit toutefois jamais à ces lointaines contrées ? La chorégraphie additionnelle évoque quant à elle les arts martiaux à base de bâtons. Dramatiquement, la représentation commence comme un concert en costumes, mais les interactions entre les personnages s’affirment au fur et à mesure de l’avancement de l’action. Fête vocale aidant, ces presque 4 heures passent très rapidement.
Dans le rôle titre, Michael Spyres dispense les qualités hors du commun que nous avons pu apprécier récemment à Paris : vocalises impeccables, trilles, variations… Le ténor américain possède totalement la grammaire belcantiste. Spyres se joue également des sauts de registre les plus fous, avec un ambitus impressionnant (les suraigus nous ont semblé plus percutants qu’à l’ordinaire). Surtout, le chanteur est constamment un personnage, et non une machine à roulades, et ses longs récitatifs sont colorés et habités. Vainqueur à l’applaudimètre, l’Ismene de Lucy Crowe est absolument superbe. La voix est fruitée, ronde, avec un léger sfumato. Les piani sont éthérés et on est déjà aux anges, quand la soprano s’attaque ensuite aux airs plus virtuoses, avec une impeccable vocalisation et des suraigus parfaits. Le plus remarquable, c’est que cette quasi perfection semble se faire sans effort, la chanteuse campant par ailleurs un personnage assez ironique et très naturel (Vick en fait une princesse indienne qui oscille régulièrement la tête en faisant des mouvements de danse).
© Bill Cooper
Remplaçant Albina Shagimuratova tombée soudainement malade au milieu de la série, la jeune Vlada Borovko offre un air d’entrée d’Aspasia absolument époustouflant. Malheureusement, la suite du rôle réclame une tessiture plus centrale et cette jeune artiste du Jette Parker Young Artists Program peine dans les parties les plus graves, au point qu’à la moitié des airs, elle n’émet plus qu’un simple filet de voix… avant de repartir comme si de rien n’était dès que le registre aigu est à nouveau sollicité. La voix de Bejun Mehta a pris du volume et du corps avec le temps. Le timbre est magnifique et le chant d’une parfaite musicalité, avec une bonne virtuosité dans « Venga pur, minacci, e frema ». Comme l’Ismene de Crowe, son interprétation de Farnace est un peu distanciée. Légère déception en revanche avec le Sifare de Salome Jicia, correcte mais sans qualités exceptionnelles particulières. L’Arbate de Jennifer Davis passe également un peu inaperçu. En revanche, le Marzio de Rupert Charlesworth retient l’attention avec un air unique : le timbre est légèrement barytonale, mais l’aigu est franc, la vocalisation très correcte. Une voix à suivre.
La direction de Christophe Rousset est attentive aux chanteurs, d’une belle noblesse, mais il y manque peut-être un brin de folie. Le chef français assure également le continuo, soutenant l’intérêt des nombreux récitatifs par une vraie variété et un authentique dialogue avec les solistes.