La Flûte enchantée est l’un des opéras les plus représentés dans le monde, sans que l’on puisse déterminer précisément à quoi tient son inépuisable succès. Œuvre ésotérique et maçonnique avec un substrat égyptien, elle peut facilement osciller d’un de ces pôles à l’autre sans que son impact émotionnel en pâtisse. Ce soir, point d’Égypte, mais un simple décor minimaliste fait d’un grand plateau nu avec, sur les côtés, des taillis de plantes en pot. Seule concession aux origines profondes de l’œuvre et à notre époque, les figurants sont tous des réfugiés, engagés pour l’occasion par le Festival d’Erl. La représentation est donc placée sous le signe du partage, expression d’un certain idéal d’entraide maçonnique. Mais en même temps, leur présence est un peu ambiguë, qui oscille entre les forces du mal (ils constituent le serpent du début) et du bien (les animaux que la flûte va enchanter).
© Tiroler Festspiele Erl / APA-Fotoservice / Xiomara Bender
La direction d’orchestre de Beomseok Yi paraît dès l’ouverture d’une lenteur un peu affectée. De fait, il va maintenir ce tempo retenu pendant toute la représentation, mais n’est pas Klemperer qui veut ! En effet, la lenteur devient souvent alanguissement, la battue est insuffisamment incisive, reste souvent sèche, jusqu’à aboutir parfois à des attaques peu franches, d’où ne peuvent que découler un certain manque global de précision, tout en imposant aux chœurs des interventions plus wébériennes que réellement mozartiennes. Tout cela donne un peu une impression de devoir scolaire.
La représentation laisse néanmoins une bonne impression d’ensemble de travail de troupe, surtout du fait du haut professionnalisme du plateau, qui mêle de « vieux routards » à de jeunes interprètes. Parmi ceux-ci, on doit saluer la performance de trois jeunes femmes japonaises, qui chantent les trois enfants. Atsuko Koyama, Michiko Watanabe et Junhua Hao font en effet un sans faute, atteignant une perfection vocale et musicale rarement entendue. Leur jeu scénique est à l’unisson, tout de simplicité, faisant de chacune de leur apparition un véritable régal. La Reine de la Nuit de Heera Bae est également au plus haut niveau, avec des notes aigues non criées et pleinement émises, d’une parfaite justesse.
Fort curieusement, sur ce grand plateau nu, les voix de Tamino et de Pamina paraissent réverbérées, surtout vers le fond de scène, un peu comme si elles avaient été sonorisées. Johannes Chum et Sophie Gordeladze ont l’un et l’autre la voix idéale de leur rôle, Tamino avec le timbre exact d’un viril ténor mozartien, sans mièvrerie ni affectation, Pamina avec également une belle ampleur, sans toutefois une certaine douceur normalement inhérente au personnage.
Le Papageno de James Roser paraît de prime abord un peu effacé, sauf quand il se trouve à l’avant-scène. Sa Papagena, Maria Lopalco, nasille dans la tradition des Despina, et même si leur couple paraît un peu improbable, ils interprètent joliment leur duo final. Le Monostatos de Wolfram Wittekind, parfois un peu dérouté par la battue du chef, parvient néanmoins à donner de sa voix incisive une bonne personnification de ce détestable personnage.
Giovanni Battista Parodi, en Sarastro, malgré sa présence et son humanité, a un peu de mal comme à son habitude à donner l’impression d’une basse profonde, et des baisses de puissance sont souvent perceptibles. Il faut dire qu’il est entouré de comparses de haut niveau, et qu’on entend rarement pour ces petits rôles l’excellence atteinte par Frederik Baldus, Markus Herzog, Michael Doumas, George Vincent Humphrey et Evert Sooster. Quant aux trois dames de la Reine de la Nuit, Susanne Geb, Lada Kyssy et Alena Sautier, elles chantent et jouent joliment sans toutefois soulever un véritable enthousiasme, peut-être du fait d’une articulation du texte trop peu intelligible.