Au lendemain de l’Orlando Furioso du 31 juillet un nouveau concert était consacré à Vivaldi. Intitulé I Barrochisti / Diego Fasolis on y retrouvait quelques interprètes de l’opéra, à commencer par Michela Antenucci, avec l’air d’Angelica « Poveri affetti miei », suivie de Loriana Castellano la Bradamante de la veille, dans « Se cresce un torrente ». Le climat différent, protestation digne pour la première, exaltation joyeuse pour la seconde, confirmaient les qualités techniques et l’expressivité lyrique de l’une et de l’autre, le plaisir naissant aussi de la couleur des timbres appariés dans le duo extrait de La costanza trionfante dell’amor e degli odii . Leur succède la basse Laurence Meikle, qu’on découvrira plus à loisir dans Margherita d’Anjou, où il campera Carlo Belmonte, féal passé à l’ennemi par esprit de vengeance avant de rentrer dans son devoir. Il chante « Benché nasconda », un air dans lequel Astolfo – qui vient d’être bafoué par Alcina– exhale sa rancœur en mettant en garde Bradamante contre ce royaume de tromperie ; la fluidité des agilités n’est pas impeccable et il semble tenter de grossir et d’assombrir une voix qui n’en a pas besoin.
Le ténor David Ferri Durà se lance dans « Col furor ch’in petto serbo » de L’incoronazione di Dario mais sa voix très claire ne sonne ni très puissante ni très mordante, pour un air dont les paroles indiquent le type et annoncent ce qu’on en attend ; certains aigus sont tendus et le meilleur moment est la strophe chantée piano, en douceur et en souplesse. Son timbre se marie en tout cas très bien avec celui de Loriana Castellano qui le rejoint pour un duo « Pur t’abbraccio, pur t’annodo » extrait du même opéra. Le contreténor Philipp Mathmann a-t-il beaucoup écouté Philippe Jaroussky ? L’idée germe tandis qu’il chante l’air de Ruggiero avec flûte obligée, « Sol da te, moi dolce amore ». Le timbre est séduisant, mais la projection est inégale et malgré de jolis aigus, assez ronds et fermes, cela manque pour nous de chair. Nouveau duo avec Michela Antenucci et Laurence Meikle, « Lo sento nel petto » extrait de Farnace, où la complémentarité des timbres constitue pour nous l’essentiel du plaisir de l’auditeur. Enfin du même opéra, Lucia Cirillo, qui la veille était Alcina, interprète la confession bouleversante du père « Gelido in ogni vena », un condensé de bel canto qui figurait dans l’album Vivaldi de Cecilia Bartoli ; malgré nous le souvenir s’interpose et tout le talent de Lucia Cirillo, irréprochable de justesse technique et de sobriété interprétative, ne parvient pas à le chasser.
Pourtant, de cette soirée nos joies les plus hautes sont venues, comme l’annonçait l’intitulé du concert, de l’orchestre, de la direction, et de leur invité, le violoniste Duilio Galfetti. Outre leur partenariat avec les chanteurs, I Barrochisti avaient leur programme, constitué de cinq concertos pour cordes dont les célébrissimes Quatre saisons. En ouverture du concert celui en sol majeur RV151, dit « Alla rustica ». Les quatre autres, avec violon soliste, seront distribués entre les pièces chantées. Pourquoi avons-nous éprouvé ce ravissement ? Il y a évidemment l’extraordinaire qualité des musiciens et de leurs instruments anciens qui restituent la musique de Vivaldi dans sa langue originale, il y a ces raffinements inouïs des cordes, cette netteté tranchante qui donne aux élans une incroyable vitalité et à leur contrôle une évidence qui sidère, la franchise des attaques ou leur incroyable douceur, et ces messe di voce ou ces pianissimi qui semblent sourdre de rien et s’étirent dans une durée où le son est pure jouissance même quand « sa forme se meurt ». Mais il y a sûrement la présence, devant et avec ces musiciens dont il appelle et modèle l’exécution, d’un prêtre vivaldien qui célèbre amoureusement le culte du compositeur en rendant à ces œuvres leur plénitude sensible, audible et spirituelle. C’est bien Diego Fasolis qui donne l’impulsion rythmique dansante et goguenarde du concerto « alla rustica », c’est lui qui commande les climats des Saisons et obtient des musiciens cette clarté merveilleuse entre les pupitres qui fixe les intensités sonores respectives ainsi que leurs interactions. A eux la précision d’exécution, a lui la vision d’un ensemble dont il cisèle chaque détail y compris depuis son clavecin. C’est grisant de redécouvrir une musique si souvent réduite à une fruste mécanique rythmique et d’en retrouver dans cette interprétation étincelante toute la sève, toute la saveur, tout l’esprit. A ce degré de mise en place, la perfection technique impossible à ignorer fait chanter les œuvres de façon si vivante que ce qu’on entend à l’orchestre, c’est l’idéal du bel canto ! Et les interventions du violoniste Duilio Galfetti sont en symbiose si étroite avec les intentions de Diego Fasolis que si la virtuosité et l’humour de son jeu émerveillent, c’est leur musicalité qui enthousiasme. Son souvenir rayonne encore, des jours après.