L’affaire est entendue, Gabriel Fauré a composé le Requiem le plus sobre du répertoire. Sans les fracas torturés du « Dies Irae » ni les lueurs doloristes du « Lacrimosa », auxquels il préfère la conclusion rassérénée d’un doux et surprenant « In Paradisum ». Qu’il s’agisse, chez le compositeur, de la manifestation discrète d’une foi inextinguible en la douceur du repos éternel ou, tout au contraire, de la preuve d’un manque de piété certain, cette tonalité relativement égale, « apaisée » dirons-nous, qui parcourt l’œuvre, est encore sublimée par une belle économie de moyens : n’abusant ni des cuivres ni des timbales, Fauré a mis dix ans à achever la version pleinement symphonique de son Requiem, initialement prévu pour un effectif plus réduit, avant de commander à l’un de ses élèves, Jean Roger-Ducasse, une version réduite pour piano et chant. N’est-ce pas la preuve qu’il s’agit ici d’une pièce toute en teintes pastel, qui doit se murmurer plutôt que se déclamer ?
Non, répond Mikko Franck. Le plus souvent debout à côté de son pupitre, allant chercher au plus près des musiciens des sonorités ciselées promptes à souligner les contrastes plutôt qu’à se fondre dans la douceur d’une harmonieuse fusion des timbres, le directeur musical du Philharmonique de Radio-France veut un Requiem vif, pleinement timbré à chaque mesure, et où la délicatesse du « Sanctus » n’empêche pas le « Libera me Domine » d’exsuder une angoisse authentique, vitale. Il est aidé en cela par les voix, tout sauf éthérées : celles du chœur, d’une puissance quasiment péremptoire, et celles des solistes. Car si la tenue de la voix et la ligne des phrasés sont impeccables, Jean-François Lapointe comme Hila Fahima ont l’ampleur de chanteurs d’opéra nés et l’épaisseur de vrais personnages, lui avec son immanquable projection, elle, avec un medium gorgé d’harmoniques qui donne au célèbre « Pie Jesu » un écho moins angélique, mais partant, plus humain que de coutume.
Intelligemment composé, le reste du programme confirmait la teneur de cette interprétation, ou plutôt l’annonçait : en première partie, ce n’est pas l’Orchestre, mais l’organiste Vincent Warnier seul que l’on applaudissait tout d’abord dans deux extraits de La Nativité du Seigneur, où le jeune Olivier Messiaen exprime et exalte sa foi avec une volupté toute particulière. Puis la Symphonie des Psaumes de Stravinski imposait ses rythmes lancinants, ses élans tantôt mystiques où l’ironie n’est jamais loin, ses chœurs dont on ne sait pas trop s’ils se recueillent vraiment ou s’ils feignent, et surtout ses teintes chambristes. Une manière de dire, dès la première partie du concert, que l’économie des moyens n’entrave jamais la profusion des émotions.