Héloïse Gaillard et son ensemble Amarillis nous avaient déjà favorablement impressionné par leurs deux cantates de Rameau (Orphée, et Le berger fidèle). Le pasticcio est de mode. S’il est le moyen de faire connaître des pièces rarement jouées, c’est aussi un piège : celui de la cohérence dramatique. Le titre singulier de cette production fait référence au choix d’une dramaturgie confiant à un comédien – chat botté – le soin de lier les trois cantates par une narration rondement menée. Le spectacle s’adresse tout d’abord aux jeunes, étrangers au monde baroque, quand ce n’est pas à celui de la musique. Les parents sont bienvenus, comme les amateurs de musique française du Grand Siècle. Les musiciennes, groupées côté cour, cèdent l’essentiel du plateau au comédien et au chanteur. Totalement nu, neutre, en dehors de la présence du clavecin et des pupitres, l’espace va se colorer et se meubler de quelques accessoires plus cocasses les uns que les autres, œuvre de Delphine Sainte-Marie. Auparavant, le comédien-chat aura traversé le fond de scène à vive allure, sur sa trotinette, puis invité les musiciennes à prendre des couleurs et à se changer, en coulisse bien sûr. Le beau prélude de l’Espagnole (des Nations, de Couperin), doublement réduit au clavecin et en guise de musique d’ameublement, nous pose problème. Autant l’attention du jeune public se focalise sur le jeu du comédien, autant celle du mélomane se trouve-t-elle perturbée par l’animation comique et le propos du chat botté. Le malaise n’est que passager, et s’estompera progressivement jusqu’à ce que la direction d’acteur du Pygmalion final nous réconcilie avec le genre.
La cantate française reste peu explorée, malgré son extraordinaire vogue durant trois décennies, au début du XVIIIe siècle, Le Mercure de France nous rappelle qu’ en novembre 1714 elle « inonde tout Paris », détournant le grand public des tragédies lyriques de Lully. La forme la plus courante correspond à la succession de 3 récitatifs et de trois airs. Même si elles ne sont pas restituées dans leur intégralité, ni dans leur continuité, c’est un beau projet que celui-ci. Des dix-huit cantates de Morin, Don Quichotte (1712) est la plus connue, gravée dès 1966. Amarillis lui rend sa verve, son ironie, sa sensibilité. L’illustration qu’en donnent le comédien et le chanteur fait sourire (et rire les plus jeunes). Le jeu des musiciennes conduites par Héloïse Gaillard séduit. Quel que soit l’instrument dont cette dernière se saisisse (hautbois baroque, flûtes à bec), l’émotion est là. Ses complices ne sont pas en reste et leur ensemble, parfaitement équilibré, relève d’une écoute chambriste. Le choix des pièces instrumentales s’avère judicieux et l’on savoure telle plainte ou telle chaconne. Les pièces en trio de Marin Marais nous ravissent. Benoît Arnould semble fatigué (après une première représentation quelques heures auparavant). La voix est belle, bien timbrée, mais les graves font défaut, et la puissance…baroque.
De Campra, la dernière cantate de son premier livre (1708), les Femmes, que grava Gérard Souzay dès les années 60. Dans cette interprétation quelque peu parasitée par la comédie qui se joue simultanément, difficile de percevoir le raffinement la sensualité, voire la luxure. La magnifique aria « Fils de la nuit », da capo, spectaculaire, est normalement introduite par un « sommeil » très doux, d’une grande richesse harmonique. Pourquoi lui avoir substitué le prélude de la Médée de Clérambault ? Pygmalion, l’une des 25 cantates de Clérambault, est donnée de façon plus continue, pratiquement sans superposition de textes comiques ajoutés, le mime suffisant. Le baryton y retrouve ses moyens et son aisance. Les évolutions finales, dansées sur des musiques de Dornel permettent de conclure sur une note réjouissante. La promesse d’un « spectacle total qui allie sculpture, théâtre, musique et danse » n’est que partiellement tenue. Le jeune public sort ravi avant tout par l’aspect visuel, les lumières, les costumes, et par le jeu du comédien. Réjouissant autant que frustrant.