Homme laid et, en tant que tel, double du compositeur, le Nain de Zemlinsky « aime – mais c’est forcé – la plus belle qui soit ! ». Vermisseau amoureux d’une étoile, le héros souffre bien sûr d’un « handicap vertical », mais l’opéra qui a été tiré du conte d’Oscar Wilde souffre à la fois d’un excédent et d’un manque, d’un trop et d’un trop peu. Souvent jugé trop court pour remplir une soirée, Le Nain n’est pas facile à apparier (l’Opéra de Paris a tenté de l’associer à L’Enfant et les sortilèges, mais le couplage n’a pas vraiment convaincu). Et par son embarras de richesse orchestrale, l’œuvre est injouable dans beaucoup de théâtres. Heureusement, une version de chambre en a été élaborée en 2014, et c’est ce qui a permis à Caroline Sonrier de programmer une partition réduite à 18 musiciens, puisque les 90 exigés par Zemlinsky n’auraient jamais pu entrer dans la fosse de l’Opéra de Lille. Ainsi allégée de son encombrant apparat post-romantique, l’œuvre est un peu tirée vers une autre modernité, celle d’Ariane à Naxos, voire de L’Histoire du soldat. Zemlinsky mêle pastiche historicisant et hispanisant – l’histoire se déroule du temps de Vélazquez – et interventions ironiques, glissandos narquois et effets sonores divers. Cette partition dégraissée, Franck Ollu la dirige avec une clarté qui n’exclut nullement l’émotion, bien au contraire.
L’émotion est aussi portée par la distribution que permet cette version de chambre. Bien sûr, Mathias Vidal aurait sans doute du mal à affronter l’orchestration opulente de Zemlinsky, mais il peut ici se permettre des murmures et toutes sortes de finesses d’interprétation, soutenues par son talent d’acteur. Très applaudie, Julie Robard-Gendre est une Ghita magistrale ; même si le rôle est plus souvent confié à un soprano dramatique, son timbre somptueux de mezzo fait merveille pour le seul personnage vraiment humain de cette cour d’Espagne. Joli trio de caméristes que celui formé par Laura Holm, Fiona McGown et Marielou Jacquard. De la princesse écervelée qui prend au sérieux son jeu assassin, Jennifer Courcier a l’extrême légèreté, et l’indifférence inhumaine, digne de Lulu, qui lui fait finalement déplorer son jouet à peine offert, sitôt cassé. Christian Helmer a parfois un peu de mal à passer par-dessus l’orchestre, peut-être à cause d’un décor très ouvert qui n’aide pas toujours les voix à se projeter vers la salle.
© Frederic Iovino
Pour sa mise scène, Daniel Jeanneteau semble avoir choisi de donner un sens social au handicap vertical. Son Nain n’est certes pas grand (et les semelles compensées du chambellan lui permettent de dominer un peu plus le héros éponyme de l’opéra), mais il semble que ce soit surtout toute la hauteur de la hiérarchie des rangs et des castes qui oppresse le personnage. Bouffon de cour, il devient ici bouffon de banlieue, avec son petit blouson, son petit survêt, son petit jean et ses petites baskets, irrémédiablement éloigné de l’Infante par sa position dans la société. Les caméristes, Ghita incluse, sont déjà tellement plus élégantes, avec leur tailleur noir et leurs talons hauts. Quant aux compagnes et à la princesse, leur costume les situe résolument dans l’univers quasi féerique de la haute couture, apparitions irréelles de blancheur contre l’arrière-plan noir du décor. A la fin, en un effet aussi spectaculaire que réussi, un gigantesque miroir surgit du fond de la scène et se rapproche du Nain pour le confronter à une réalité jusque-là dissimulée. Et il meurt.