Après la sortie de son disque annuel chroniqué ici même par Laurent Bury, c’est avec beaucoup de curiosité que l’on assiste de visu au « dolce duello » de Cecilia Bartoli avec Sol Gabetta, deux artistes qu’on n’aurait jamais imaginé se produire ensemble, et qui plus est à égalité. Le Festspielhaus de Baden-Baden, encore sous le coup de l’extraordinaire émotion du récital de Philippe Jaroussky quelques jours plus tôt, se demande si la magie peut se renouveler. Première constatation : l’ensemble mené par le violoniste Andrés Gabetta, frère de Sol, est tout aussi vif, amène et plein d’énergie. Autre point commun, les musiciens de la Cappella Gabetta sont presque tous debout et littéralement transportés par la fougue de leur chef, vibrionnant tel un moderne Paganini. L’excellence de la formation met encore davantage en valeur la personnalité de Sol Gabetta, merveilleuse violoncelliste dont on comprend tout à fait, en la voyant jouer, ce qui a pu pousser la mezzo romaine à la choisir comme partenaire pour un programme complet. La jeune franco-argentine possède un toucher à la fois très – apparemment – naturel et époustouflant de virtuosité. Les couleurs de son instrument évoquent les voix les plus flexibles et affirmées. Une belle découverte et une grande artiste à suivre.
Cecilia Bartoli, quant à elle, semble tout d’abord bien en retrait, assagie et mesurée. On admire les vocalises réussies et curieusement lentes, comme étouffées, qui laissent cependant perplexes tant les notes meurent vite. Sans doute notre diva est-elle en petite forme, se dit-on, ou alors elle évolue dans des sentiers de traverse auxquels il faudra s’habituer. Mais au fur et à mesure que les airs s’enchaînent, alternant les lamentations et les airs de fureur ou d’expressivité virtuose, on la retrouve, tant notre diva s’affirme dans tout ce qui la caractérise. On la reconnaît notamment, au sommet de son art, dans un ineffable « Lascia la spina cogli la rosa », que le public écoute en retenant son souffle quand celui de l’interprète se fait brise délicate et lumineuse poésie. Bien sage dans sa petite robe noire et tout en retenue, elle n’en est pas moins capable de vocalises ébouriffantes dignes de ses grands jours, notamment dans « O placido il mare » où, totalement débridée, tout est « colpa del vento », effet bourrasques venteuses garanti. C’est à la fougue d’une Scarlett O’Hara qu’elle fait penser quand elle revient en deuxième partie dans une nouvelle robe superbe qui semble coupée dans de somptueux rideaux. D’amples fleurs contribuent à faire prendre tournure à cette généreuse tenue que portent élégamment les deux jeunes femmes, à l’identique. Et qu’à cela ne tienne qu’elles n’aient pas le même gabarit ; elles sont idéalement (et également) belles et épanouies.
La douce tornade se prolonge avec de nombreux rappels et le récital s’achève quarante minutes après l’heure prévue sans qu’on ait vu le temps passer. La Tarentelle sied comme un gant à la belle romaine et il faut la voir s’accompagner elle-même du tambourin dans la séguedille de Nebra… Sol Gabetta, pour sa part, tire de son violoncelle des sonorités plus qu’inattendues et emballe définitivement son public. Tout le monde fond pour un « Non ti scordar di me » en duo d’anthologie. Comment pourrait-on d’ailleurs jamais oublier ?