Retour gagnant de Philippe Jaroussky au Grand Théâtre de Provence ; nombre de spectateurs présents pour ce récital avaient certainement en mémoire les magnifiques représentations d’Alcina en juillet 2015, dans le cadre du Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence où son Ruggero donnait la réplique aux deux sorcières incarnées par le duo magique Prohaska-Petitbon.
Jaroussky revient avec Haendel toujours, mais un tout autre Haendel : loin cette fois-ci des triomphes londoniens qui assurèrent au compositeur et le prestige et la fortune. On oublie souvent en effet qu’à côté des incontournables Ariodante, Alcina ou Giulio Cesare, Haendel a aussi dû affronter des fours mémorables qui faisaient tomber dans un oubli aussi immédiat que parfois injuste des ouvrages recelant en réalité quelques pépites.
On saura donc gré à Jaroussky d’avoir en quelque sorte rendu justice à certaines de ces œuvres qui ne méritent pas – si ce n’est peut-être du fait de livrets particulièrement indigestes – de ne plus figurer au répertoire.
Aix-en-Provence était une étape parmi la trentaine que compte la tournée que notre haute-contre a entamée pour défendre son dernier enregistrement (The Händel Album, paru cet automne chez Erato) consacré donc à ces raretés.
Au cours de ce concert, il nous gratifie de neuf des treize pièces de l’album. Il est en bonne compagnie puisque c’est son ensemble Artaserse, fondé en 2002, qui œuvre à ses côtés, sous la houlette cette fois du Konzertmeister Raul Orellana (alors que dans l’enregistrement c’est Jaroussky lui-même qui dirige).
Programme bien pensé ; on se désolait à l’avance de devoir subir quelques concerti grossi haendéliens disséminés dans les deux parties du programme. Mais force est de constater que ces pièces très brèves (mouvements courts des op. 3 & 6 qui mettent en valeur quelques pupitres de l’ensemble) ne brisent pas le rythme de la soirée et permettent à Jaroussky de souffler entre deux morceaux. Tout est enchaîné, avec une seule pause dans chacune des parties pour un bref accord des instruments.
On retrouve un Philippe Jaroussky égal à lui-même. Le temps semble ne pas avoir de prise sur sa voix : tantôt chaude et virile (« Rompo i lacci »), tantôt perchée dans des sphères de séraphins (« Son stanco » dans la difficile tonalité de si bémol mineur), se déjouant de quasiment toutes les difficultés (« Se parla nel mio core »), et surtout incarnant ses rôles avec une application méritoire.
Il reste aussi maître dans l’art du … silence, n’hésitant pas à transformer des pauses, voire des demi-pauses en points d’arrêt (« Se potessero i sospiri miei »). Petites libertés prises avec la partition, mais tout cela est fort bien vu et du plus bel effet.
La projection sait être puissante, mais on le sent surtout dans son élément avec des suraigus toujours impeccables. Le vibrato est là, parfois affirmé, toujours maîtrisé (« Bel contento »).
Quant à l’ensemble Artaserse, il est d’une belle complicité ; on le sent rompu à l’exercice, à l’aise dans la virtuosité, très à l’écoute aussi du maitre de céans. On pourra toujours débattre du choix des tempi des mouvements lents (trop lents ?) ou vifs (trop vifs ?) des concerti grossi. Cet ensemble en tout cas a décidément toute sa place sur la scène baroque internationale.
Un récital généreux donc (trois bis dont cette fois-ci un tube avec « Ombra mai fu » sans reprise) qui nous redit s’il en était besoin que Jaroussky est là pleinement dans son répertoire. Ses quelques échappées dans le répertoire romantique ou contemporain ne nous feront pas changer d’avis. Cette prestation aixoise l’a confirmé.