A son nom, les plus âgés associeront inévitablement les productions du Châtelet ou de Mogador, sans doute Bourvil et Galabru, ou encore de vrais chanteurs comme Michel Dens ou Geori Boué, sinon tel ou tel film de l’après-guerre. Les plus jeunes découvriront avec ravissement que l’opérette n’est pas morte, si on veut s’en donner la peine. Inusable et désuète, l’Auberge du Cheval blanc, en dehors de Liège, ne se donne plus guère qu’en province. L’Opéra-Théâtre de Metz, qu’anime Paul-Emile Fourny, nous en propose la version en deux actes, singulière, dépoussiérée, qui mérite pleinement le déplacement. Avec un respect scrupuleux de la partition, le directeur de l’institution lorraine – ici aussi metteur en scène – et Pénélope Bergeret ont pris le parti de réécrire les textes parlés en y injectant quelques doses de l’esprit belge. Deux personnages y changent d’identité. Le chef d’entreprise de tricots, marseillais, se mue en producteur belge de pralines. Non seulement, le chocolat relève d’une belle inspiration en cette période de fêtes, mais c’est aussi le péché mignon de Josefa. Les parlers, l’humour, l’autodérision y sont cultivés avec bonheur, avec malice. Le professeur Hinzelmann devient un célèbre violoniste-chef d’orchestre-entrepreneur de spectacles (le maestro Desgrieux, dont on ne retiendra que la fin du nom) qui se voit gentiment égratigné : le modèle est néerlandais. Les références à Jacques Brel, comme à Bienvenue chez les Ch’tis sont d’excellents moments. Enfin nombre de tableaux auraient pu être signés Hergé tant les images proposées semblent s’en inspirer (les touristes, tout particulièrement). Donc une opérette viennoise, ancrée au Tyrol, qui tourne à l’éloge de la belgitude, voilà qui apporte un vent salutaire sur ce petit monde de conventions.
L’Auberge du Cheval blanc, à Metz © Arnaud Hussenot – Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Nous sommes à la croisée des chemins : de l’opérette, évidemment, mais aussi du music-hall et de la comédie musicale. Si le chant demeure au cœur de la réalisation, la comédie de boulevard et la danse y prennent pleinement leur part. Le grand spectacle s’était estompé à Mogador en 1999, puis à Massy en 2013 pour un décor unique, sans train, sans bateau. Ici, un ingénieux dispositif, constitué de deux ailes mobiles, en quart de cercle, permet de créer autant de cadres que requiert l’action : ouvert sur les Alpes tyroliennes et un lac, fermé pour les scènes se déroulant à l’intérieur de l’auberge, se chevauchant ou encadrant l’escalier que descend l’Empereur à son arrivée. A ces multiples combinaisons, ajoutons la scène de la cuisine, très habilement conçue avec sa cloison et ses portes de communication et les tableaux pourront s’enchaîner au bon rythme exigé par l’action. Benoît Dugardin nous offre une belle auberge – à colombages et géraniums – dont les deux niveaux de chambres autorisent bien des scènes relevant de la comédie de boulevard. Les couleurs vives, fraîches participent à la gaîté. Les costumes, signés Brice Lourenço et Valerian Antoine, sont d’une variété extrême : du déshabillé vaporeux au maillot léopard, aux inévitables culottes de peau, c’est un musée du costume, cent-cinquante au total dit-on, les danseurs changeant jusque six fois de tenue. Elégance, humour, ambiance de music-hall, avec juste ce qu’il faut de plumes.
Tous les chanteurs sont des voix, même les comédiens auxquels sont confiés les textes parlés. Le public est sous le charme, réactif à souhait, et les interprètes, qui le perçoivent aisément, sont pleinement épanouis. Michel Vaissière nous vaut un Léopold Brandmeyer au caractère bien dessiné. La voix, toujours intelligible, est sonore, solide, aux aigus souples, avec un vibrato assez large qui convient bien au genre. « Adieu, adieu » , mais surtout « Pour être un jour aimé de toi », bien que rengaine, sont chantés avec goût. Josefa, est Sabine Conzen, qui lui donne l’autorité sévère de la patronne, mais aussi la sensibilité et la tendresse requises. La voix est bien timbrée, chaude, d’une diction exemplaire, convaincante. Carl Ghazarossian est l’avocat, au charme duquel Josefa n’est pas insensible. Ténor séduisant, et séducteur, il est vocalement très engagé et son chant, comme son jeu, s’accordent parfaitement à son personnage. Le Célestin de Julien Belle, jeune arriviste frimeur, est délicieux. « On a l’béguin (…) pour mes chaussettes » est dans toutes les oreilles. Il faudrait citer chacun et chacune des chanteurs. Même si leurs rôles ne sont que parlés, le spectacle doit beaucoup à deux comédiens. Laurent Montel, tout d’abord, qui compose un Léon Tonneklinker (littéralement « tonne de mâchefer ») désopilant. La verve, la prestance sont servis par une voix puissante, qui ferait oublier Galabru en Napoléon Bistagne. Puis Philippe Brunella, l’Empereur, qui nous dit avec une grande distinction « Ainsi va la vie » sur un soutien orchestral. Quelques beaux duos, des chœurs toujours bienvenus, voilà une musique qui n’a d’autre ambition que de plaire, et remplit parfaitement son office.
Les chorégraphies très professionnelles, parfaitement abouties, clins d’œil à la comédie musicale et à Fred Astaire, et un corps de ballet pleinement investi : Jean-Charles Donnay, familier de la comédie musicale, remplit son contrat à merveille. L’orchestre adopte les lois du genre et passe aisément de la légèreté viennoise aux tyroliennes appuyées comme aux rythmes de music-hall. Cyril Englebert, déjà apprécié dans un récent Don Pasquale, y fait montre de toutes ses qualités.
Un grand spectacle comme il devenu rare, que Reims accueillera la saison prochaine.