C’est le lot de tous les festivals de plein air, même après des semaines de canicule : la pluie peut venir tout perturber. A Sanxay, pour la première des trois représentations de Tosca, de retour après une première apparition in loco en 2004, le public a bien failli devoir rentrer chez lui. 30 minutes avant le début de la représentation, une averse copieuse s’est abattue sur les gradins, mais les spectateurs trempés ne sont pas laissés décourager pour si peu, et la soirée a pu malgré tout se dérouler comme prévu, avec un peu de retard seulement, car il a d’abord fallu éponger le plateau pour éviter que les chanteurs y dérapent. Malgré tout, peut-être les instruments n’auront-ils guère apprécié ce repli précipité auquel la pluie les a contraints : de fait, sous la baguette pourtant experte d’Eric Hull, l’orchestre ne paraît pas tout à fait dans son élément durant le premier acte. Faux départs, cordes pas tout à fait ensemble, et il faudra attendre après le premier entracte pour que le son retrouve un certain moelleux, dans l’acoustique hors-pair de ce lieu.
Les chanteurs, eux, ne semblent pas décontenancés par cette humidité soudaine. A moins que, précisément, l’uniformité dont pâtit le chant d’Azer Zada soit à mettre sur le compte des intempéries, mais cela paraît peu probable. Le ténor azéri n’en est pourtant pas à son premier Cavaradossi, rôle qu’il interprètera même prochainement à La Fenice, mais il paraît avant tout désieux d’émettre des décibels, et son chant massif semble exclure toute nuance et ne guère se soucier d’expressivité. C’est seulement au dernier acte que le désespoir de Mario l’obligera à ranger les muscles pour se montrer un rien plus concerné par l’action. Heureusement, ce n’est pas le cas des deux autres membres du trio central. Carlos Almaguer est un Scarpia tour à tour haineux, fielleux, caressant, efficace même si les ficelles sont assez visibles – chaque mot trahissant la noirceur de l’âme du personnage est soudain nasal et appuyé ; la voix possède tout l’éclat souhaitable et la souplesse suffisante pour éviter un chef de la police monolithique. Et surtout, il y a Anna Pirozzi, l’une des meilleures artistes que l’Italie compte actuellement pour tout ce répertoire, qui revient à Sanxay après une mémorable Abigaille en 2014. La soprano napolitaine séduit par la netteté d’une diction qui exprime à merveille le sens de chaque réplique, la voix est belle et jamais brutalisée, même dans la véhémence de l’affrontement avec Scarpia.
© Patrick Lavaud
Hélas, sur le plan scénique, on ne se situe pas à la même hauteur. Stefano Vizioli opte pour un décor d’une grande sobriété : deux parois noires luisantes qui se percent d’ouvertures variées, et devant lesquelles quelques accessoires suffisent à évoquer un lieu. La Madeleine peinte par Cavaradossi se réduit même à un gigantesque œil bleu, mais en compensation de cette audace, les costumes ancrent l’intrigue dans son époque historique. Encore faudrait-il que les acteurs soient un peu dirigés, et que l’action soit un peu plus rondement menée : l’évasion d’Angelotti est singulièrement pataude, par exemple, et les personnages se retrouvent régulièrement assis sur un fauteuil quand on ne sait trop quoi leur faire faire, ou allongés à terre dès qu’ils se disent des mots doux. Les Soirées lyriques de Sanxay, qui fêteront l’an prochain leur vingtième anniversaire, ont su fidéliser leur public et s’imposer en tête des festivals français, essentiellement grâce aux grandes et belles voix qu’on y entend depuis près de deux décennies, mais peut-être serait-il temps de passer à la vitesse supérieure en matière de mise en scène, surtout pour un opéra comme Tosca, où il est impossible de se rabattre sur l’opulence des scènes de foule (en dehors de la fin du premier acte, le nombre de personnes sur le plateau est forcément limité) ou sur un déploiement de faste décoratif pour compenser d’éventuelles lacunes dans le jeu théâtral. Sans attendre de révélations sur ce plan, le plein air n’excuse pas tout, et comme le théâtre de Sanxay n’a pas le gigantisme d’autres lieux d’opéra à ciel ouvert, l’on devrait pouvoir, sans moyens colossaux, se montrer plus inventif ou plus subtil.