La déploration poignante du Stabat Mater est connue et a été très souvent illustrée en polyphonie. Celui de Dvořák, avant d’être une prière, exprime la profonde douleur du père qui vient de perdre un puis deux autres de ses enfants. A cet effet, il n’hésite pas à modifier le texte liturgique pour mieux traduire son désespoir. Si la version orchestrée, qui fit la renommée internationale du jeune musicien, est universellement connue, on a quelque peu oublié sa version première, avec piano, qui ne fut éditée qu’en 2004 (Laurence Equilbey en réalisa l’enregistrement peu après). Le Chœur de l’Opéra de Dijon, quatre remarquables solistes et la pianiste, dirigés par Anass Ismat, nous proposent donc la première composition de Dvořák, qu’il allait ensuite compléter (numéros 5 à 7… que signale cependant le programme) et orchestrer.
Le concert s’ouvre sur deux motets bien connus de Bruckner : le Locus iste et l’Ave Maria, à peine antérieurs à l’écriture du Stabat Mater. Le premier est retenu, avec une dynamique et des phrasés remarquables. Le second nous réserve de belles oppositions entre pupitres de femmes et d’hommes, avant qu’ils s’unissent puissamment. Les modelés, les accents, la véhémence forcent l’admiration.
© DR
Bien que privé momentanément de l’usage du bras droit, Anass Ismat impulse l’énergie, sculpte les phrasés, cisèle les détails. Le rayonnement des voix, des solistes comme celles du chœur, la précision, le respect scrupuleux des moindres indications de Dvořák nous valent une interprétation particulièrement réussie. Le piano de Marie Duquesnois, qui ne réduit pas l’orchestre mais l’anticipe, offre un écrin plus intime, qui a le mérite de concentrer l’attention sur les voix. Dès l’entrée du chœur, l’émotion est palpable. La qualité d’émission, la dynamique sont au service du texte et de l’affliction qu’il porte. Aucun soliste ne démérite. La voix de Stefano Ferrari, le ténor, est vaillante et nous touche par le velours et le son. Celle d’Anna Piroli, soprano de luxe, séduit par son timbre lumineux, sa puissance et sa longueur de souffle, le cristal et la rondeur. Leur duo « Fac ut portem Christi » est d’un lyrisme vrai, empreint d’une passion tendre. Auparavant, le solo de basse avec chœur « Fac, ut ardeat cor meum », dans un dialogue séquencé, surprenant, entre le soliste et les voix de femmes divisées, puis avec tout le chœur, constituait un moment également fort. Jonas Yagure est une solide basse, puissante, bien timbrée et égale dans tous les registres. Sophie Largeaud chante son air « Inflammatus et accensus » dans un tempo trop rapide et les graves sont frêles, mezzo plutôt qu’authentique contralto. Les quatuors sont équilibrés et cohérents. Ils s’accordent idéalement aux interventions du chœur. La progression de l’ample et puissant Amen conclusif, virtuose, est conduite magistralement. Le chœur de l’Opéra se hisse au plus haut niveau, et sa direction inspirée ferait oublier telle ou telle version de référence.