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Otello — Paris (Bastille)

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Spectacle
7 avril 2019
Divine surprise

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en quatre actes, livret d’Arrigo Boito d’après le drame éponyme de William Shakespeare.

Créé à Milan (Teatro alla Scala) le 5 février 1887

Détails

Mise en scène

Andrei Serban

Décors

Peter Pabst

Costumes

Graciela Galán

Lumières

Joël Hourbeigt

Otello

Gregory Kunde

Desdemona

Hibla Gerzmava

Jago

George Gagnidze

Cassio

Frédéric Antoun

Roderigo

Alessandro Liberatore

Lodovico

Paul Gay

Montano

Thomas Dear

Emilia

Marie Gautrot

Un Héraut

Florent Mbia

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Maîtrise des Hauts-de-Seine

Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris

Chef des Chœurs

José Luis Basso

Direction musicale

Bertrand de Billy

Paris, Opéra Bastille, dimanche 7 avril 2019 à 14h30

Le hasard des défections peut parfois aboutir à une sorte de miracle. Appelé à remplacer au dernier moment un collègue défaillant, Gregory Kunde obtient ici le triomphe parisien que l’on n’espérait plus, malgré des conditions particulièrement difficiles. Arrivé samedi soir, le ténor américain n’aura en effet guère eu le temps de répéter. On en reste d’autant plus stupéfait de la perfection de la mise en place : pas un décalage, pas une phrase indécise, et aussi, une véritable interaction avec ses partenaires. Du travail de pro. Surtout, nous entendons ici un vrai Otello, avec sa propre conception dramatique de l’œuvre, dont nous reparlerons plus loin. Physiquement, Gregory Kunde impressionne d’emblée par sa stature, sa présence, sa maturité, si parfaitement en adéquation avec le personnage de Shakespeare. La voix est d’une jeunesse et d’une ardeur incroyable, avec un aigu spinto qui fend les airs, et le mur de l’orchestre. Le registre grave est certes plus discret, ce qu’on ressent essentiellement dans la première partie de « Dio ! Mi potevi scagliar » au IIIe acte, mais il est parfaitement audible tout au long de la représentation,  Verdi ayant bien fait les choses. Kunde campe un Otello vocalement atypique de par nos standards modernes (à des années-lumière d’un Mario del Monaco ou d’un Plácido Domingo), sans doute plus proche de la vocalité du créateur du rôle, Francesco Tamagno. Ce dernier, comme Gregory Kunde, avait précédemment chanté tout un répertoire aigu mais aussi dramatique, depuis Arnold dans Guillaume Tell  jusqu’à Samson et Dalila, en passant par Jean du Prophète et Manrico dans Il Trovatore. Ses ultimes enregistrements, faits alors qu’il était en retraite depuis longtemps, permettent d’entendre un contre-ut insolent, comme celui de Kunde lors de son affrontement avec Desdemona à l’acte III. On retrouve ici toute la technique belcantiste conquise par le chanteur au fil de décennies de carrière, mise au service, sans compromission, de ce rôle dramatique. Faute de répétitions comme on l’a vu, Kunde propose sa propre interprétation du Maure. Loin d’être une gêne, ce serait plutôt un atout, et la comparaison en est d’autant plus intéressante avec les titulaires précédents de cette série. Par exemple, lorsque Iago commence son travail de déstabilisation d’Otello, celui-ci va d’abord prendre les insinuations à la légère. Intrigué, Otello demande à Iago ce qu’il cache en son cœur (« Che ascondi nel tuo core ? ») ; celui-ci répond, énigmatique : « Che ascondo in cor, signore ? » (« Ce que je cache dans mon cœur ? »). Otello réplique alors avec exactement la même phrase, mais Kunde utilise ici un ton moqueur, sarcastique, avec une sorte de grimace comique, qui déclenche d’ailleurs un murmure amusé dans la salle. Ce n’est qu’au moment où Iago lui dit de craindre la jalousie, que le poison fait enfin son effet. Le visage d’Otello, que cette idée n’avait même pas effleurée, se décompose instantanément, et le piège se referme. Du grand art qui se manifeste dans les moindre détails : à l’arrivée de l’envoyé  du Doge de Venise, Kunde utilise deux voix, l’une pour s’adresser à la foule et aux ambassadeurs, une autre pour agonir d’injures la pauvre Desdemona. On pourrait disséquer à l’envi  cette représentation, mais le matériau en est trop riche et nos souvenirs forcément incomplets. Espérons (sans trop y croire) que nous ne devrons pas attendre encore une fois dix ans avant de retrouver cette artiste sur la scène de Bastille.  

Hibla Gerzmava est une Desdemona à la voix puissante, au timbre riche et capiteux, avec des aigus splendides et de beaux piani. Toutefois, il lui manque parfois cette capacité à générer immédiatement de l’émotion par la simple qualité de la voix. Il faut dire que le soprano, originaire de la petite et disputée république d’Abkhazie, compose elle-même son personnage, très différent de celui de la précédente titulaire. Ici pas de scène de ménage, mais une sorte de soumission incrédule à un destin implacable. Au premier acte, son timbre contraste idéalement avec celui, beaucoup plus clair, de Gregory Kunde. Son quatrième acte est par ailleurs de toute beauté. George Gagnidze est toujours Iago, avec les mêmes qualités comme une grande rigueur vocale (pour une fois, on entend les trilles), un timbre clair, une projection parfois un peu en retrait. Le baryton pâtit surtout des stupidités de la mise en scène (credo chanté devant le rideau, un crâne à la main, lancé depuis les coulisse par une habille acessoiriste, avec des yeux en boules de loto). Il n’en reste pas moins que le final électrique de l’acte II, en duo avec Gregory Kunde, est tout simplement grandiose. Le Cassio de Frédéric Antoun est apparu en retrait par rapport à son interprétation londonienne, comme si le ténor avait changé de technique vocale. La voix peine à éclater dans l’aigu, une qualité indispensable pour aborder le Duc de Mantoue dans les Rigoletto de la saison prochaine. Alessandro Liberatore est un Roderigo sonore et excellent acteur. Paul Gay est une Lodovico de belle prestance, avec un chant superbe. Marie Gautrot impressionne par son engagement scénique et un beau matériau vocal. Bertrand de Billy offre une direction attentive aux chanteurs, mais dépourvue de contrastes et de dramatisme. Les chœurs et l’orchestre sont excellents.

Il ne reste plus grand-chose de pas mal des incongruités de la mise en scène d’Andrei Serban à sa création : un décor bizarrement moderne, des costumes ridicules, une gestuelle digne de la caricature du cinéma muet (Iago), une mise en place des chœurs et des figurants (incapables d’agiter correctement des oriflammes) qui fleurent bon l’Alcazar de Rodez dans les années 50. Une nouvelle production serait la bienvenue, même transposée sur Mars. Qu’importe : les voix étaient au rendez-vous, assurant le triomphe au rideau final de cette ultime représentation. Après une telle représentation, une question reste d’ailleurs en suspens : comment l’Opéra de Paris a-t-il pu passer à côté d’un artiste comme Gregory Kunde pendant toutes ces années ?

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Créé à Milan (Teatro alla Scala) le 5 février 1887

Détails

Mise en scène

Andrei Serban

Décors

Peter Pabst

Costumes

Graciela Galán

Lumières

Joël Hourbeigt

Otello

Gregory Kunde

Desdemona

Hibla Gerzmava

Jago

George Gagnidze

Cassio

Frédéric Antoun

Roderigo

Alessandro Liberatore

Lodovico

Paul Gay

Montano

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Marie Gautrot

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Florent Mbia

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Maîtrise des Hauts-de-Seine

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