S’il ne déroge pas à ses principes d’humilité et de respect de l’ouvrage, Paul-Emile Fourny, qui en signe sa cinquième mise en scène, illustre Rigoletto de façon exemplaire. Sans ajout de quelque message politique ou sociétal, sans provocation gratuite (les seins nus des courtisanes du premier acte sont du déjà vu), il nous raconte l’histoire telle que Victor Hugo aurait pu la concevoir, n’était son allergie à la musique. Propos d’autant plus apprécié qu’il est rare dans le paysage lyrique français de s’inscrire dans la tradition en ce qu’elle a de meilleur. De surcroît, il réussit le miracle de construire une distribution de haut vol, en dépit des moyens limités de la scène valeureuse qu’il dirige.
Sans esthétisme gratuit, les décors de Poppi Ranchetti, les costumes de Giovanna Fiorentini, les éclairages de Patrick Méeüs, créent l’atmosphère propre à chaque moment, avec pour unique souci celui de servir l’ouvrage. La scène tournante participe à son rythme offrant des décors en pleine harmonie avec les tableaux successifs. Des marbres du palais ducal, au mur lépreux sur lequel débouche l’impasse, à la maison où est recluse Gilda, au bouge de Sparafucile et de Maddalena, c’est un constant régal. D’autant que ce cadre, s’il réduit les volumes appelés par les scènes de foule, autorise de nombreuses combinaisons, toutes bienvenues. Ainsi, le lent flash back qui fait défiler le souvenir des scènes vécues, où les personnages sont figés dans leur posture, est plus qu’une trouvaille. De la frénésie de la fête chez le Duc jusqu’au dénouement tragique, le rythme imposé nous captive sans autre rupture que les contrastes voulus par le librettiste et le compositeur.
Gilda et Rigoletto © Christian Brémont – Opéra-Théâtre de Metz Métropole
De Rigoletto, du Duc de Mantoue, de Gilda au modeste rôle du page, la distribution est sans la moindre faiblesse. L’opéra repose, avant tout, sur Rigoletto. Pierre-Yves Pruvot, authentique baryton verdien, use de la plus riche palette expressive, du cri, du parlando à la déclamation lyrique. Le bouffon prend ici une dimension humaine, ambiguë, complexe. Sa solitude, son amour possessif pour sa fille, sa révolte nous émeuvent. La voix est sonore, admirablement projetée, toujours intelligible, assortie des couleurs les plus justes. Christophe Rizoud écrivait de Thomas Bettinger « le ténor français qui monte » après sa prestation à Orange en juin dernier. Son Duc de Mantoue nous ravit, et nous change de ces ténors aguerris dont la voix et le jeu trahissent l’âge, si ce n’est l’usure. Son émission comme la vie qu’il donne à son personnage, insolents, sont empreints de fraîcheur, de jeunesse, de désinvolture. Comment ne pas être conquis par la sincérité de sa déclaration à Gilda, tout autant que par sa « conquête » de Maddalena ? Le jouisseur-séducteur est campé avec une vérité rare. Toutes les inflexions attendues sont là, sans jamais sentir l’artifice. Gilda, innocente et passionnée, n’est pas moins jeune. Oriana Favaro, soprano au timbre et à la nationalité argentines, est cette jeune fille sensible, émouvante. Elle nous vaut un splendide « Gualtier Maldè… Caro nome », frais, clair. L’évolution du personnage est perceptible durant les duos suivants, jusqu’à l’ultime, poignant. La maîtrise technique est admirable, tout comme le jeu, le soprano léger se mue progressivement en soprano dramatique. Sparafucile, Mischa Schelomianski, est puissant. La voix large et sonore sait se faire caressante comme brutale. Il se double d’un excellent comédien, tout comme sa sœur, la vénale et passionnée Maddalena, chantée par Sarah Laulan. Beau mezzo, à la voix chaude et animée, au jeu exemplaire, on regrette que la partition ne nous permette pas de l’apprécier davantage. De noir vêtu, l’immense Jean-Fernand Setti impose sans peine la figure noble, impérieuse et sombre de Monterone dans ses imprécations et sa malédiction. Aucun des autres solistes ne démérite, jusqu’au page mutin de Hadhoum Tunc.
Le chœur d’hommes de l’Opéra-Théâtre de Metz-Métropole fait preuve de toutes ses qualités de précision, d’émission et de justesse : sonore comme discret, toujours intelligible, il remplit idéalement sa fonction musicale comme dramatique. On oubliera l’imprécision des cuivres dans le prélude et le début du premier acte pour ne retenir de l’orchestre que son engagement et son attention à la direction animée et inspirée de Cyril Englebert. Son souci du chant est constante et les tempi adoptés confèrent les caractères attendus à chaque séquence, de la retenue de l’air de Gilda aux accents dramatiques de l’orage qui domine la dernière scène. Les solistes (le violoncelle et le hautbois tout particulièrement) sont remarquables.
Le public, pris dans le tourbillon de l’action, réserve l’essentiel de ses longues acclamations pour la fin de l’ouvrage : malgré le dénouement tragique, chacun sort heureux, conscient d’avoir partagé un moment rare. Reims reprendra cette production, à laquelle participe son opéra, dont nous avons apprécié l’orchestre, les 13 et 15 octobre.