Bien malin celui qui trouverait un fil conducteur à ce récital de la mezzo-soprano Elina Garanča : « España ! » semble crier le programme, tout rempli de zarzuela et de l’Espagne de Don Carlo et de La Force du Destin. On en entendrait presque par avance les castagnettes et les rythmes lancinants, les danses endiablées et les accents enflammés de la langue espagnole. Mais voici que s’y mêlent Puccini, Cilea, et même Grieg et von Suppé en une mosaïque étonnante, et l’auditeur ne sait plus sur quel pied danser, de la czardas ou de la habanera.
Sans doute le cœur du programme n’est-il autre que son interprète en personne : après tout, n’est-ce pas pour elle que le public s’est déplacé ce soir ? Robes de diva, poses de diva, regards appuyés de diva : Elina Garanča connaît tous les codes pour mettre un public à ses pieds, et cela lui sied bien. Mais si la chanteuse met la musique en valeur, la réciproque se doit aussi d’être vraie…
© Holger Hage
D’où le choix d’un programme décousu, mais qui lui va parfaitement. Dès les premières notes de la « Chanson du voile » de Don Carlo (« Nel giardin del bello »), Elina Garanča fait entendre une projection remarquable, remplissant instantanément la salle d’une voix sombre, percutante, d’une parfaite homogénéité du bas-medium au grave – et quel grave !
Le deuxième air d’Eboli, « O don fatale » la montre encore plus investie dramatiquement, habitée par un rôle qui paraît une promenade de santé à la chanteuse, dévoilant un aigu métallique et puissant. C’est d’ailleurs cette qualité d’aigu qui lui permet une incursion chez les sopranos avec cet extrait d’Adriana Lecouvreur, « Io son l’umile ancella » : là encore le timbre est beau, la technique irréprochable. Mais on y aurait souhaité des voyelles moins assombries, une voix plus lumineuse, un personnage plus sensible : un peu de l’italianità attendue chez Cilea, et qui fera également défaut dans la « Musica proibita » de Gastaldon dans la deuxième partie du concert.
Le récital se poursuit en effet avec des mélodies et des extraits de zarzuela : « T’estimo » de Grieg, profond, engagé, mais sans grand débordement romantique ; « Lela » de Mato Hermida puis « El dia que me quieras » de Gardel, dont la mélancolie voire le désespoir conviennent tout particulièrement à la chanteuse, qui y met toute l’obscurité de son timbre et toute l’attention possible au texte qu’elle énonce. Mais que de sérieux dans ce programme !
Enfin une nouvelle excursion hors tessiture, cette fois-ci du côté des ténors, l’amène au célébrissime « No puede ser » de Sorozabal, accueilli avec enthousiasme par le public. Les couleurs ibériques ne semblent plus avoir de secret pour la mezzo-soprano lettone qui s’empare de cette musique et de cette langue avec une aisance confondante.
Il faut dire que la chanteuse est fort bien accompagnée dans ce répertoire par la Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz, dirigée par Karel Mark Chichon – son mari à la ville. Si les premières pages lyriques n’avaient pas totalement convaincu (une ouverture de Luisa Miller un peu sèche, un solo d’alto à la justesse approximative dans l’Intermezzo de Manon Lescaut, un tempo hâtif dans l’ouverture de La Force du Destin), la phalange se révèle dans la seconde partie du concert. Le son y est brillant au possible, dense, plein de nuances dans le von Suppé et le Giménez ; moins en retrait également par rapport à la chanteuse, le tout mené avec fermeté et précision par le chef.
Les trois bis venant clôturer le concert ne laissent pas de place au doute : c’est bien l’Espagne qui aura le plus illuminé cette soirée.