Comme nombre de ses amis instrumentistes, Andreas Staier passe du clavier à la baguette (encore qu’il dirige mains nues) pour élargir sa palette expressive. En effet, 48 heures après Varsovie – où on célébrait l’anniversaire de la mort de Chopin – il retrouve Dijon, non point avec son ou ses claviers, mais à la tête du fameux Collegium vocale 1704, de l’Orkiestra Historyczna et d’un quatuor de solistes, pour le Requiem de Mozart. C’est l’occasion de retrouver, parmi eux, Krešimir Stražanac, dont on se souvient, ici, de l’extraordinaire récital qu’il offrit, il y a cinq ans, avec Mihaly Zeke, sans compter sa venue en 2016 avec Philippe Herreweghe.
Que n’a-t-on écrit et affabulé sur ce Requiem ? Malgré le faible intérêt que Mozart porta à sa composition, malgré la faible part de la partition qui soit réellement de sa main, ce chef-d’œuvre constitue certainement la pièce la plus régulièrement jouée durant les deux derniers siècles. Quelle que soit la fréquence de ses interprétations, le Requiem attire toujours les foules. Dijon ne déroge pas, d’autant que, en dehors de la présence d’Andrea Staier, les interprètes méritent une attention particulière : le plateau de solistes et, surtout, le formidable ensemble instrumental et vocal que dirige régulièrement Václav Luks.
Faisant fi des soi-disant traditions, trop souvent habitudes paresseuses permettant de faire l’économie d’une réflexion approfondie sur l’œuvre, Andreas Staier nous offre une lecture personnelle particulièrement convaincante, décapante. On oublie vite la gestique pour la qualité du résultat, fruit de son intelligence du texte et du professionnalisme avéré des interprètes.
Dès l’ « Introït », le cor de basset nous rappelle que [OH !] Orkiestra Historyczna est une formation d’instruments d’époque, joués selon les techniques appropriées. Les couleurs de l’ensemble, claires, fruitées comme soyeuses participeront au climat de l’œuvre. Le chœur, tchèque, dont les nombreux enregistrements font référence, se distingue par sa vigueur autant que par sa souplesse. Les phrasés que sculpte Andreas Staier, comme ceux qu’il impose à l’orchestre, autorisent une vie et une lisibilité rares. Le « Kyrie » est ductile et puissant, les accentuations lui confèrent une animation constante. Le « Dies irae » nous foudroie par sa puissance agressive. Si le « Tuba mirum », que chante remarquablement Krešimir Stražanac, assorti de traits orchestraux intelligemment modelés, est allant, le « Rex » suivant, noté « grave », est vigoureux, dépourvu du hiératisme habituel, équilibré à souhait. La projection des injonctions du « Recordare, les contrastes accusés du « Confutatis » se démarquent de nombre d’interprétations connues. Au « Lacrymosa » sans affliction ajoutée, dans sa simplicité émouvante, succèdent le « Domine Deus », puis l’« Hostias » homophone, doux, lié, préparant la fugue du « Quam olim Abrahae », construite avec clarté et animation, dont on s’étonne seulement des liaisons phonétiques du chant. Le « Sanctus » est puissant, imposant sans lourdeur, pour un «Osanna» jubilatoire. Les solistes, en parfaite harmonie, nous valent un « Benedictus » fervent, avant la reprise de l’ « Osanna ». Bref et apaisé, l’ « Agnus Dei » débouche sur le « Lux aeterna », lui-même calqué sur l’ « Introït ».
Après des décennies de fréquentation assidue du Requiem de Mozart, on sort réjoui, comme si nous le redécouvrions, restauré avec ses couleurs originelles, sa lisibilité et sa vigueur. Les dernières notes jouées, le temps du silence se poursuit longuement comme si le public, familier de l’œuvre, retenait son souffle avant que les applaudissements éclatent. Malgré les incessants rappels, Andreas Staier préférera en rester là, sur cette impression que nous venons de vivre un moment d’exception.