En septembre 2015, Stéphane Lissner annonçait la création de l’Académie de l’Opéra national de Paris, une extension de l’Atelier lyrique à la mise en scène, la musique instrumentale, la danse et les métiers d’art – couture, perruque, tapisserie, menuiserie… Mot d’ordre (ou tagline comme disent les pros du marketing) : « L’avenir de l’Opéra se prépare aujourd’hui ! ». C’est ainsi qu’une trentaine d’artistes du monde entier complètent leur formation aux côtés de professionnels confirmés dans différents domaines. En parallèle, un pôle d’éducation artistique s’emploie à faire découvrir l’opéra, le ballet, la musique de chambre et le récital à des milliers de jeunes chaque saison. Telle est la théorie.
Et la pratique ? Sous le prétexte des 350 ans de l’Opéra de Paris, deux rendez-vous de l’édition 2019 de Voix d’automne, le festival d’art lyrique organisé à Evian, en offrent un fugace aperçu – fugace car il serait réducteur de résumer en deux concerts une somme d’actions conduites sur la durée qui combinent partenariats et initiatives pédagogiques avec formations, masterclasses et mises en situation professionnelle.
Le premier de ces rendez-vous réunit le baryton Vladimir Kapshuk et le pianiste Benjamin Laurent dans un programme conçu autour de Don Quichotte. Des pièces musicales inspirées par le héros de Cervantes alternent avec le récit de ses aventures. Depuis 1605, année de la publication d’El Ingenioso Hidalgo Don Quijote de La Mancha, le « Chevalier de la longue figure » a donné lieu à bon nombre de mélodies, d’opéras et même de comédies musicales, comme le rappelle en fin de programme la chanson de Jacques Brel « La quête », extraite de L’Homme de la Mancha. L’ordre d’interprétation des extraits musicaux se calque sur la narration des exploits de Don Quichotte, de l’adoubement à la mort – avec la si poignante mélodie de Jacques Ibert dont l’ultime note, comme à chaque fois, déchire le cœur. En une répartition judicieuse des rôles, Vladimir Kapshuk chante Don Quichotte ou Sancho Pancha tandis que Benjamin Laurent accompagne et récite. Diable d’artiste que cet ancien de de l’Académie de l’Opéra de Paris, aussi éloquent en pianiste qu’en récitant, capable de jouer en virtuose Ravel, Paisiello ou Massenet et de déclamer son texte avec une aisance que pourraient lui envier bien des comédiens chevronnés. Nice lui a commandé un Opéra minuscule et le Festival de Radio France à Montpellier présentait en juillet dernier son Dormeur du Val, une partition pour mezzo-soprano et piano. Benjamin Laurent est aussi arrangeur et auteur de musiques de documentaires et de court-métrages, co-créateur, compositeur et interprète de l’émission « Les Actualités chantées » sur France Musique ainsi que titulaire du Certificat d’Aptitude aux fonctions de professeur d’accompagnement. Doué ou surdoué ? Les deux, mon capitaine !
Le lendemain, un deuxième rendez-vous propose sous le nom du Miroir d’Armide, un parcours musical allant des balbutiements de l’opéra en France au milieu du 17e siècle jusqu’aux derniers feux de la tragédie lyrique avant la Révolution. Un prologue et trois entrées donnaient à comprendre l’évolution du genre en quatre compositeurs – Rossi, Lully, Rameau, Gluck –, une quinzaine de pages musicales et autant d’occasions de découvrir, sous la direction de Margaux Blanchard et Sylvain Sartre à la tête de leur ensemble Les Ombres, quelques chanteurs anciennement et actuellement en résidence à l’Académie lyrique de l’Opéra de Paris. Des contraintes logistiques nous ont empêché d’assister à la deuxième partie de cet « opéra imaginaire ». Dès la première partie cependant, se dégagent quelques personnalités vocales en devenir. Citons la soprano américaine Ilanah Lobel-Torres, Euridice (Rossi) puis Aricie (Rameau), dont le timbre de miel fléchirait Cerbère même, et la mezzo-soprano indienne Ramya Roy, qui, dans le monologue de Phèdre, « Cruelle mère », laisse entrevoir un tempérament de feu. Pour elles, comme pour leurs camarades, l’articulation de la langue française est un objectif de progrès que l’Académie de l’Opéra national de Paris – n’en doutons pas – saura prendre en compte aujourd’hui, pour des demains qui chantent bien.