C’est souvent aux plus petites compagnies, les moins aidées financièrement, que l’on doit les plus belles redécouvertes musicales. On pense bien sûr à la Compagnie de l’Oiseleur, qu’on se réjouit de retrouver le mois prochain pour la résurrection d’un opéra. La compagnie Winterreise en est une autre, qui organise vaillamment des spectacles explorant des recoins inexplorés du répertoire. Son directeur, Olivier Dhénin, avait eu l’excellente idée de monter à Rochefort L’Ile du rêve, de Reynaldo Hahn, d’après Pierre Loti, spectacle vu ensuite à Paris. Cette fois, c’est dans le cadre du Musée national Jean-Jacques Henner qu’il a choisi de présenter la dernière création de sa compagnie.
Pour ceux qui n’auraient jamais visité ce lieu du 17e arrondissement, rappelons qu’il s’agit bien d’une maison d’artiste de la fin du XIXe siècle, mais pas de celle de Henner, peintre alsacien des nudités rousses perdues dans la nature. La demeure et l’atelier de Guillaume Dubufe furent offerts à l’Etat, qui décida d’y héberger le fonds Henner ; moins fastueuse que celle de Gustave Moreau, cette maison n’en est pas moins une sorte de « capsule temporelle » qui nous transporte dans une époque révolue. La remarque est encore plus vraie depuis la restauration en 2014-2016 du jardin d’hiver, où sont régulièrement spectacles et concerts.
Ce jeudi 14 novembre, c’est un hommage à Maurice Maeterlinck que proposait la compagnie Winterreise, hommage mêlant chant, déclamation et musique de chambre, une exploration pluridisciplinaire de l’œuvre de l’écrivain belge.
La partie théâtrale laisse d’abord un peu dubitatif, et l’on regrette que les comédiens sollicités n’aient pas eu le temps d’apprendre par cœur leur scène d’Alladine et Palomides. Heureusement, l’extrait de La Princesse Maleine est, lui, joué et non plus lu, ce qui change considérablement l’effet produit sur le spectateur. Dans les deux cas, on est saisi par la proximité du texte avec celui, bien connu des mélomanes, de Pelléas et Mélisande, tant par les thèmes que par le lexique. Quant aux poèmes qui forment les Quinze Chansons, leur lecture répartie entre six voix s’avère tout à fait réussie ; là aussi, le lyricomane reconnaît « Les Sept filles d’Orlamonde », poème cité dans Ariane et Barbe-Bleue (où elles ne sont plus que cinq), ou « Et s’il revenait un jour », mis en musique par Déodat de Séverac, en allemand par Zemlinsky, en italien par Respighi.
Pour le chant, la pièce de résistance est le recueil qu’Ernest Chausson a conçu en 1896 autour de Serres chaudes (1889). Le compositeur a retenu cinq poèmes dont le climat lui paraissait particulièrement propice à la transposition musicale ; il est regrettable qu’on n’entende pas plus souvent cette œuvre, digne du meilleur Chausson. Pour l’occasion, ce n’est pas la version voix et piano qui est interprétée, mais une transcription due à Pierre Penisson, qui fait intervenir en plus une flûte et un violon. Si cette adaptation pare la partition de couleurs tout à fait séduisantes et fin-de-siècle, il est regrettable que l’acoustique du jardin d’hiver du musée Henner ne soit pas forcément très favorable, car le texte, chanté avec beaucoup de flamme par Alexia Macbeth, mezzo au timbre chaud, devient peu intelligible, souvent couvert par les instruments. En revanche, pour les deux mélodies de Lili Boulanger, elles aussi tirées de Serres chaudes, un équilibre idéal est atteint entre le piano dont joue Emmanuel Christien et la voix de l’éloquent baryton Adrien Fournaison.
Quant à la partie purement instrumentale de cette soirée, elle avait démarré très fort avec la Berceuse héroïque de Debussy, qui plonge l’auditeur dans les ténèbres épaisses et les profonds souterrains de Pelléas. Composée en 1914 « pour rendre hommage à S.M. le roi Albert 1er de Belgique et à ses soldats », cette œuvre tourmentée surprend par la brusque irruption d’un fragment de La Brabançonne. Après un détour par la fraîche Chanson de Jacques Ibert et l’insinuante Evocation de Gustave Samazeuilh, le concert se termine par les Impressions de Pelléas et Mélisande, suite de concert arrangée par Henri Mouton. En moins de dix minutes, tout l’opéra de Debussy défile (à l’exception du dernier acte), la flûte de Corentin Garac s’unissant au violon d’Alexandra Soumm pour donner à entendre, superbement transcrits, les grands moments de l’action, notamment les deux chutes de « toute la chevelure » de l’héroïne et l’ardeur de la scène finale de l’acte IV.
Difficile de ne pas être alléché par le discours liminaire d’Olivier Dhénin, évoquant son travail sur la partition perdue que Lili Boulanger avait composée sur La Princesse Maleine : espérons avec lui que resurgira un jour le « Cahier rouge » où se trouvait, semble-t-il, cet opéra tout entier…