Comme à New York où ils affichaient une très belle complicité dans Tosca, le duo constitué par Joseph Calleja et Sondra Radvanovsky devait être reconstitué au Festspielhaus de Baden-Baden autour d’un programme consacré au répertoire italien, de Verdi au vérisme et à Puccini, avec en particulier des extraits de Tosca. Las, la soprano, souffrante, doit renoncer au récital et c’est Serena Farnocchia qui sauve la soirée au pied levé. C’est d’ailleurs l’occasion de ses débuts dans la maison. Le répertoire habituel de la soprano originaire de Pietrasanta formée à l’Accademia Teatro alla Scala lui permet sans peine de reprendre le programme prévu ce soir, à un petit changement près : il nous faut renoncer au duo Final d’Andrea Chénier, prévu initialement en fin de concert.
On commence donc avec Puccini et son juvénile Preludio sinfonico, composé aux cours de ses études et moins abouti que les pièces futures, dont le Sinfonieorchester de Bâle parvient toutefois à tirer le meilleur. On apprécie ainsi d’entrée de jeu la grande qualité de cet ensemble et le superbe nuancier sonore de tous les pupitres, brillamment sublimé par le chef Giampaolo Bisanti, fringuant et en mouvement perpétuel, moulinant de ses bras immenses pour mieux galvaniser ses groupes, chanteurs y compris. Par ailleurs très disert (c’est lui qui donne la réplique à Joseph Calleja dans le rôle du sacristain pour Tosca), il mime chaque phrase, littéralement collé aux solistes, à tel point qu’on le prendrait volontiers pour un ventriloque, en tous les cas pour celui qui tire les ficelles. Cela contribue sans doute beaucoup au plaisir qu’on prend à écouter des airs courts qui pourraient s’enfiler comme des perles mais, petit miracle, véhiculent beaucoup d’émotion, dès les premières minutes.
Lorsque le Maltais paraît, il conquiert immédiatement la salle grâce à son timbre solaire et la puissance qu’il parvient à dégager. Très en forme, le ténor rayonne et semble mieux qu’à son aise, en pleine possession de ses moyens et fort d’une maturité qu’on lui reconnaît depuis un bon moment. Son art consommé de la demi-teinte fait ici une fois de plus des merveilles : les diminuendi de « E lucevan le stelle » sont à se pâmer. On attend avec impatience le célèbre si bémol conclusif du « Celeste Aida », marque de fabrique ou presque de notre ténor, mais ce soir, la voix est un peu engorgée à ce moment précis ; dommage… Un rhume, peut-être ? Il n’en paraît rien, au demeurant, par ailleurs, et l’on ne retient par la suite que l’impérieuse séduction de cette force de la nature à laquelle rien ou presque ne résiste.
Serena Farnocchia, quant à elle, ne convainc pas sur-le-champ. Son apparence physique ne correspond que lointainement à ce que l’on attend de Tosca et l’on retient surtout le caractère de la virago insupportable que la diva sait être, voix plutôt aigre, émission un peu étroite. Parfaite en jalouse névrotique, assez mal appariée face à un Mario empressé et débordant d’énergie et d’amour (et le chef qui écoute aux portes, à quelques centimètres du couple, ce qui pourrait être ridicule mais n’en est que plus prenant) la soprano italienne embellit cependant rapidement et se transforme en merveilleux cygne, gracieuse et rayonnante, voix souple, ample, radieuse. Les pianissimi de « Ritorna vincitor » sont magnifiques de noble retenue. Au fil de la soirée, Serena Farnocchia convainc un peu plus à chaque apparition, visiblement à son aise, en fusion avec son partenaire et finalement radieuse. Il y a fort à parier que ses débuts dans la prestigieuse salle badoise ne seront pas une occasion unique.
Une seule reprise, mais cette fois, le couple est parfaitement à l’unisson : le Non ti scordar di me de Curtis achève de faire fondre le public, totalement conquis…