Rossini en version de concert ? Oui, mais fort heureusement cette Italienne à Alger ne confine pas ses chanteurs derrière leur pupitre ! Quelques éléments de costumes, quelques accessoires – deux chaises, deux valises, un balai –, mais surtout une distribution remarquable sur le plan scénique, et le tour est joué : l’opera buffa prend vie.
Il faut dire que cette représentation bénéficiait d’un interprète comique de choix en la personne de Peter Kalman (Mustafà) qui parvint par ses ineffables mimiques à provoquer l’hilarité du public. Baryton rossinien par excellence, il domine son rôle avec une aisance exemplaire.
Face à lui, Margarita Gritskova est une Isabella tout en exagération avec un jeu volontairement outrancier et une ligne vocale aussi chargée en ornements que ses tenues en strass et paillettes. L’effet comique est immédiat, mais on regrette que la chanteuse ne laisse pas assez de place à l’élégie qui, tout de même, caractérise le personnage par endroits. De même, si elle porte une attention de tous les instants au texte, ce qui est extrêmement appréciable, cela entrave souvent la projection : c’est bien dommage tant elle a la voix pour ce rôle.
Beaucoup plus dans la retenue que cette Italienne, Maxim Mironov est un Lindoro idéal, possédant toutes les qualités du ténor rossinien : le timbre clair, le legato irréprochable, l’aigu assuré, les vocalises absolument nettes et une diction rapide extrêmement précise. On ajoutera à cette liste de belles nuances et une belle présence en scène. Que demander de plus ?
Que des éloges également pour le Taddeo de Christian Senn, vif, truculent et vocalement parfaitement à son aise. Il trouve dans les duos avec Mustafà l’occasion de déployer ses talents d’acteur sans jamais que son personnage semble parfaitement ridicule, ou semble à l’étroit dans cette version semi-scénique.
Les principales réserves de la soirée seront pour Veronica Cangemi en Elvira : la voix manque d’épaisseur, ce qui la rend peu audible dans les ensembles, et manque de vibrato, ce qui rend les aigus assez durs ; c’est d’autant plus dommage que ce rôle n’offre pas d’occasion à la soprano de briller en solo. Elle forme malgré tout un binôme réussi avec la Zulma de Rosa Bove, drôle comme on pouvait l’espérer, tout comme le Haly virevoltant de Victor Sicard.
Les solistes sont accompagnés pour l’occasion du chœur de chambre Mélisme(s), qui séduit par son homogénéité et la qualité de ses nuances, ainsi que par l’Ensemble Matheus dans une forme éblouissante. Tout en étant à l’écoute de ses chanteurs, Jean-Christophe Spinosi dirige d’une main de maître cette mécanique rossinienne bien huilée : rien ne dépasse, rien ne s’appesantit, les tempos sont vifs mais sans précipitation. Il fait également ressortir tout le raffinement de cette musique qui n’a rien de tonitruant, contrairement à ce qu’on pourrait penser – et il convient de saluer tout particulièrement les formidables solos de hautbois dans l’ouverture, de cor dans « Languir per una bella » et de piccolo dans le finale de l’acte I.
Une bien belle soirée musicale que cette Italienne à Alger, malgré quelques légères réserves. Mais une bien belle soirée théâtrale aussi, même s’il s’agit d’une version de concert.