Le public avait craint un Jonas Kaufmann souffrant et contraint d’annuler sa venue au Théâtre des Champs-Elysées ; mais bien qu’encore malade, le ténor a pu répondre présent et défendre devant le public parisien les mélodies viennoises de son album « Wien ».
Le premier air du concert faisait pourtant craindre que la voix ne soit pas encore vraiment rétablie : l’évocation de Venise d’Eine Nacht in Venedig montrait des signes de fatigue évidents et une tension dans le haut medium qui n’était pas de bon augure pour la suite. Pourtant la voix retrouve progressivement une souplesse et le timbre qu’on lui connaît bien, Jonas Kaufmann pouvant jouer de toutes les nuances – dont ses fameux aigus piano.
En plus de la voix, c’est aussi le chanteur qui trouve une décontraction, un flegme très viennois qui lui permettent de passer de la nostalgie à l’humour avec une forme de nonchalance. Si Strauss et Lehár lui vont bien, c’est sans doute dans les chansons de Stolz et Sieczynski qu’il déploie au mieux ses talents de conteur, avec cette diction absolument irréprochable et cette manière de parler plutôt que de chanter.
Certes le ténor est rattrapé par la fatigue et la toux lors du dernier morceau ; mais il nous livre pour le reste une très belle performance dans un répertoire qu’il défend admirablement.
Présente également, la soprano Rachel Willis-Sørensen – qui nous accordait une interview juste avant ce concert – prête sa voix corsée à certaines des pages les plus célèbres de l’opérette : l’« Uhrenduett » et « Klänge der Heimat » de La Chauve-Souris, puis « Vilja Lied » et « Lippen Schweigen » de La Veuve joyeuse. Le chant est assuré, le souffle remarquablement long et l’aigu brillant : elle est une partenaire de choix pour le ténor, et ils montrent une vraie complicité vocale et scénique. Ils parviennent surtout à ne pas basculer dans la caricature mais à conserver le charme et la délicatesse des compositeurs qu’ils interprètent.
Dommage que les deux chanteurs soient relativement empêchés dans leurs mouvements en raison de la présence de micros. D’ailleurs, si la sonorisation n’est pas choquante dans ce type de répertoire, elle était ce soir peu flatteuse pour les voix, ayant tendance à écraser le son dans l’aigu. Un problème de balance qui, fort heureusement, ne pesait pas sur l’ensemble des morceaux. Cela accentuait malgré tout l’impression d’un orchestre très en retrait : dirigé par Jochen Rieder, le PKF-Prague Philharmonia maîtrisait certes son sujet, mais manquait d’inspiration. C’est d’autant plus dommage que de nombreuses pages orchestrales lui laissaient l’occasion de briller.
Bien évidemment, c’est Jonas Kaufmann qui clôt ce concert avec deux bis : « Heut ist der schönste Tag in meinem Leben » d’Hans May et « In einem kleinen Café in Hernals » d’Hermann Leopoldi.
Vienne, Vienne et encore Vienne… mais en bonne compagnie.