C’est toujours avec autant d’enthousiasme que le public de l’Opéra Bastille a accueilli ce dimanche 26 janvier la production du Barbier de Séville signée par Damiano Michieletto dont c’est la quatrième série de représentations depuis 2014. Sans doute le fait d’avoir été privé de spectacle pendant plus d’un mois et demi y est-il également pour quelque chose. Comme pour Les Contes d’Hoffmann la veille, un texte de l’intersyndicale a été lu avant la représentation, pratique courante outre-Rhin, mais les huées d’une partie du public et les applaudissements de l’autre n’ont pas permis à ceux qui l’auraient souhaité, d’écouter le contenu de ce communiqué.
Une fois le silence revenu, le rideau s’est levé sur les façades d’immeubles d’un quartier pauvre de Séville qui constituent l’essentiel du décor de Paolo Fantin. Côté jardin, un bar à tapas, au centre la voiture d’Almaviva garée devant l’immeuble de Bartolo qui pivote sur lui-même laissant apparaître les différents appartements reliés par des escaliers que les personnages montent et descendent dans une agitation perpétuelle tout au long de l’ouvrage. Réglée comme du papier à musique, la direction d’acteurs de Michieletti ne laisse pas un moment de répit aux chanteurs, ni du reste au spectateur qui ne sait plus où porter son regard vu le nombre d’actions simultanées qui se déroulent sur scène et trouvent leur point d’orgue dans le final du premier acte, absolument ébouriffant, véritable contrepoint visuel à la strette endiablée composée par Rossini.
© Lisette Oropesa / Instagram
A l’exception du chef et de Carlo Lepore, déjà présents en 2014, c’est une équipe entièrement renouvelée qui a été réunie ici, dont certains membres font leurs débuts in loco tel Tommaso Barrea, Fiorello sonore mais quelque peu fâché avec la justesse dans ses interventions du premier acte. Brillante Madame Favart en juin 2019 à l’Opéra-Comique, Marion Lebègue ne manque ni de présence ni de malice dans le rôle de Berta à qui elle prête son timbre généreux et cuivré. Krzysztof Bączyk est un Basilio juvénile à la voix solide et au timbre profond, sans doute lui faudrait-il un zeste d’ampleur supplémentaire dans sa « Calunnia » pour convaincre pleinement dans le grand vaisseau de Bastille. Carlo Lepore ne fait qu’une bouchée du rôle de Bartolo qu’il a si souvent fréquenté. Il se joue avec aisance de toutes les difficultés que contient sa partie, en particulier dans son air « A un dottor della mia sorte » dont le chant syllabique mené à un train d’enfer n’a plus de secret pour lui. Lauréat du concours Operalia en juillet 2019, Xabier Anduaga possède bien des atouts dans son jeu. Doté d’un physique de jeune premier, ce ténor d’à peine 24 ans possède une voix puissante, remarquablement projetée et un timbre non dépourvu de séduction. Dommage qu’il ne varie pas suffisamment les couleurs et qu’il soit avare de nuances au point de se réfugier dans un chant constamment en force qui nuit à son interprétation. Pêché de jeunesse sans doute tout comme cette façon de glisser sur les vocalises au détriment de la précision. Autres débuts à l’Opéra de Paris, ceux d’Ilya Kutyukhin, jeune baryton russe qui, lui, sait ce que vocaliser veut dire. Sur scène, il forme avec Anduaga un couple de potaches épatants et complices. Si son Figaro est irréprochable vocalement, il lui faut encore acquérir l’abattage et la rouerie de celui qui tire les ficelles. Appréciée du public parisien depuis sa Marguerite de Valois dans Les Huguenots à l’automne 2018, Lisette Oropesa compose une Rosine en tout point captivante. La jeune soprano ne manque ni de piquant ni de charme. La voix est brillante, l’aigu aisé, les vocalises sont parfaitement exécutées et la ligne de chant ornementée avec subtilité. Actrice accomplie, elle évolue comme un poisson dans l’eau dans l’univers imaginé par Michieletto. Au pupitre Carlo Montanaro retrouve avec bonheur cette production qu’il avait déjà dirigée de main de maître en 2014. On lui pardonnera quelques décalages ici ou là, les répétitions étant déjà loin, et l’on retiendra sa battue alerte dès l’ouverture dépourvue de lourdeur, sa maîtrise du crescendo rossinien et son sens du théâtre qui font merveille notamment lors du final du premier acte au cours duquel les chœurs tirent également leur épingle du jeu.