Célébrant son 350e anniversaire, l’Hôtel des Invalides, édifié en 1670 par Louis XIV, a concocté un programme très riche pour cette saison 2019-2020. C’est avec un concert entièrement consacré à Lully, surintendant de la musique du Roi et directeur de l’Académie royale de musique, qu’on entre dans le vif du sujet. La cathédrale Saint-Louis offre un écrin particulièrement adapté, mélange de magnificence triomphale, raccord avec la pompe de l’époque, et d’intimisme, petite scène oblige, caractéristique de la sobriété musicale du genre.
Pour un concert dédié à Lully, quoi de mieux que l’orchestre des Paladins de Jérôme Corréas ? Ce dernier prend la parole par trois fois au cours de la soirée pour apporter des éclairages sur les morceaux sélectionnés et justifier son choix de programmation. C’est un véritable parcours musical qu’il a tracé, autour du thème de l’amour, que l’on sait toujours in fine éclipsé par la gloire chez Lully. Après une ouverture de L’Idylle sur la Paix très énergique, sans sacrifier un instant la précision, les affres de l’amour emporteront le spectateur, de la rencontre des amants (duo du berger et de la bergère dans l’Idylle sur la Paix), à leurs conflits (Phaéton, Armide, Atys, Amadis), en passant par la nuit d’amour (Le Triomphe de l’Amour) jusqu’à la séparation finale (Armide). Ce fil rouge confère à la soirée une très belle cohérence et met en lumière de réels échos entre les airs. En bis, « Que je vous aime ! » du Naïs de Rameau file la thématique et offre un beau contrepoint autant qu’il dessine une ligne de continuité intéressante.
L’orchestre, en formation resserrée pour l’occasion, se plie aux moindres nuances imprimées par la direction de Jérôme Corréas, toujours aussi sensible, toujours aussi subtile. Indéniablement, l’ombre de William Christie plane dans les moments de pureté totale, où musique et silence s’allument de reflets réciproques. La réconciliation entre Atys et Sangaride (« Je jure / Je promets ») déborde d’une délicatesse ciselée au point d’en devenir quasi sublime. La marque de fabrique typiquement « paladine », la théâtralité, ressort particulièrement : la vivacité de Jérôme Corréas est communicative, tant vers son orchestre, notamment lors de la Chaconne pour Madame la Princesse de Conti que vers ses solistes.
Indéniablement, la star de la soirée n’est autre qu’Amel Brahim-Djelloul. Habituée du genre, celle-ci navigue avec aisance entre les airs, les registres et les émotions. Sa diction parfaite lui permet de proposer une performance très théâtrale, passant de l’imploration (« Ah! Phaéton, est-il possible… ») au désespoir et à la vengeance (« Le perfide Renaud me fuit ») avec le même talent. Ses aigus nous arracheraient des larmes quand ils sont pianissimi (surtout dans « Renaud ! ciel ! ô mortelle peine ! ») ; son medium ainsi que ses graves sont irréprochables. Son charisme et la puissance de sa voix, dotée d’un volume généreux, achèvent de rappeler qu’elle est l’une des meilleures cantatrices baroques de sa génération. Quelle Didon doit-elle être !
Jean-François Lombard offre une performance musicalement très solide. Son timbre et sa diction épousent à merveille le style de Lully et ses aigus ravissent le spectateur par leur précision technique. Quelques réserves néanmoins sur la largeur et le volume de la voix, qui pourront laisser certains spectateurs sur leur faim. De même, le jeu théâtral, qui n’est certes pas un incontournable lorsqu’il s’agit d’un concert, n’est pas des plus élaborés, atténuant l’expressivité de l’interprétation, surtout dans la première partie. Mais dans la deuxième partie, son Renaud final (« Trop malheureuse Armide, hélas ! ») sera chargé de toute la gravité escomptée.
L’Hôtel des Invalides poursuit sa saison avec le Te Deum de Charpentier le 10 mars, mais pour ceux qui voudraient voir ou revoir ce bel hommage à Lully, il sera toujours possible de se rendre à Arles, le 3 avril prochain, pour retrouver ce format et ce programme ravissants.