Depuis son incarnation habitée de Falstaff en 2015, un rôle qu’il affectionne particulièrement, mettant en lumière autant son talent d’acteur que de chanteur, Nicola Alaimo poursuit un parcours remarqué sur les scènes lyriques et particulièrement en France où il est un artiste apprécié. Dans la parenthèse imposée par le confinement, le baryton italien a eu la courtoisie de nous accorder un entretien. Avec une passion et un enthousiasme communicatifs, si caractéristiques de l’artiste, il évoque évidemment la crise actuelle vécue comme une « récupération du temps perdu » et revient sur son attachement viscéral à Rossini et à Verdi. Il dévoile également pour nous ses aspirations et ses projets futurs.
Comment avez-vous été informé de l’annulation des spectacles et de la fermeture des théâtres en Italie, pour cause de Covid-19?
D’abord par les journaux télévisés. Mais on pouvait facilement imaginer que les premières structures qui seraient amenées à fermer seraient les lieux publics culturels et sportifs, tels les musées, stades et bien sûr nos théâtres bien-aimés … J’ai été ensuite informé par mails de l’annulation d’un concert programmé à Pesaro, pour l’anniversaire de la naissance de Gioachino Rossini. Et à Bologne, où je me trouvais, lors des répétitions de La Cenerentola, le surintendant est venu lui-même annoncer l’annulation de la production, qui sera toutefois reportée à l’année prochaine.
Quelles sont les conséquences sur vos prochains engagements ?
Les conséquences sont assez graves, puisque je vis et fais vivre ma femme et mes enfants de mon travail. Et compte tenu des circonstances, je ne travaillerai peut-être pas avant septembre. La situation est vraiment dramatique, car les artistes sont démunis face à de tels évènements imprévus, inimaginables. De plus, je suis particulièrement attristé de cette suspension des spectacles et ce d’autant plus que l’Italie est le berceau du mélodrame scénique et qu’elle possède les beaux théâtres du monde ! Je vais paraître sans doute un peu « chauvin » en disant cela, mais je le pense vraiment.
Comment vivez-vous le confinement et comment organisez-vous vos journées ?
J’essaie de regarder l’aspect positif d’une telle situation. Je profite de cette période pour me dédier pleinement à ma famille, à ma femme Silvia et à mes deux filles, que je vois rarement quand je suis en activité. Le confinement me permet de redécouvrir mes filles, d’échanger beaucoup avec elles et de partager leurs pensées profondes sur ce qui les entoure, d’étudier avec elles, et surtout de leur expliquer que si la situation est difficile elle est en même temps l’occasion de se retrouver le plus possible. Une sorte de « récupération du temps perdu » qui ne serait jamais arrivée autrement. Et c’est vraiment ce qui ressort de cette période, un temps pour soi, pour la réflexion… Nous organisons nos journées normalement. Après le petit déjeuner j’aide Sofia à faire ses devoirs, puis j’étudie mes prochains rôles, comme d’habitude. J’essaie d’aider aussi aux tâches ménagères. Je lis aussi beaucoup et en ce moment je suis plongé dans la biographie de la merveilleuse Anna Magnani. Donc les jours passent, paradoxalement, assez vite ! Ma saison doit normalement se finir avec Dulcamara à Vienne, si la production est maintenue. Mais je me prépare déjà à la saison d’après qui commencera avec un engagement important en octobre avec Attila à l’Opéra de Chicago.
Dans quel répertoire vous sentez-vous plus à l’aise et à quel rôle êtes-vous le plus attaché ?
Rossini était et est toujours le plus présent dans ma carrière, avec Verdi … J’ai fait mes débuts avec Dandini de La Cenerentola en 1997 et Rossini m’a toujours accompagné, car il est idéal pour ma voix et ma propension naturelle à la coloration. Mais le personnage qui me tient le plus à coeur, celui qui m’a tant donné, est et demeurera Falstaff ! Le grand Verdi lui a donné une telle palette de sentiments et d’émotions ! Impossible de tous les énumérer, mais ce seul et même personnage, se trouve traversé tour à tour par l’amour, la déception, l’illusion, la vieillesse, la solitude, le bonheur, la tristesse, le désespoir, la joie, l’ironie, l’ironie de soi, le sarcasme, la colère, la frustration, le jeu, la séduction, et la culture…Sir John est un homme profondément cultivé, ce que beaucoup oublient ! Impossible de décrire en deux mots ce personnage pétri de toutes les émotions et contradictions humaines, que ce trio magique, Verdi, Boito et Shakespeare ont façonné pour l’Eternité !
Quel est le rôle que vous rêvez d’interpréter ?
En fait il y en a deux : je rêve désormais de Scarpia et Gérard car ce sont des rôles complexes servis par une profondeur musicale et une belle caractérisation dramatique. Ce sont des personnages majeurs car véritable force motrice de l’action. J’ai quelques espoirs de les interpréter bientôt, Mais il est encore trop tôt pour en parler ! Il y a un temps pour tout …
Quels sont vos projets les plus importants dans les prochains mois ?
Je dirais deux engagements programmés en 2022 que j’attends avec un vif intérêt, avec une pointe d’anxiété et aussi une grande excitation. Macbeth et Nabucco ! Mais je ne peux toujours pas mentionner les théâtres, car les saisons ne sont pas encore officiellement annoncées. Ce sont deux personnages extraordinaires, surtout le premier ! Je dirais que le tandem Verdi-Shakespeare me sied à merveille, tant vocalement que sur le plan de la dramaturgie ! J’ai eu l’honneur de jouer Iago à Salzbourg, avec le Wiener sous la direction du Maestro Riccardo Muti et ce fut aussi une expérience exaltante qui m’a donné envie de poursuivre sur la voie shakespearienne ! Et Macbeth est de la même texture dramatique, c’est une œuvre de sang et d’horreur mais porté magistralement par la puissance musicale du Maître de Busseto pour lequel je nourris (avec Rossini) une profonde admiration et un amour inconditionnel.
Propos recueillis et traduits de l’Italien le 31 mars 2020