« Je suis passionné à un tel point par mon travail que la moindre sortie me semble du temps perdu », écrivait en 1953 à Pierre Bernac Francis Poulenc alors plongé dans la composition de Dialogues de Carmélites. Le confinement imposé par la pandémie de coronavirus lui serait apparu comme une bénédiction, quand il semble à bon nombre d’entre nous une épreuve. Angers-Nantes Opéra allège la pénitence en diffusant ses Dialogues dans la mise en scène de Mireille Delunsch.
On ne dira jamais assez les effets – pervers ou non, c’est selon – de la captation d’un opéra. L’œil se trouve soudain placé contre les chanteurs quand le théâtre impose une distance qui fait que même au premier rang – place déconseillée sur le seul plan de l’acoustique –, on ne saisit pas avec la même acuité l’expression des visages. Voilà peut-être la raison pour laquelle, au contraire de Tania Bracq dans la salle le 15 octobre 2013, on ne peut rester insensible à l’interprétation de Blanche par Anne-Catherine Gillet. Oui, bien sûr, l’essence de la voix possède plus qu’une légèreté, une lumière qui sied mieux à la joie de Constance – au sens bernanosien du terme – qu’aux angoisses de Blanche de La Force. Et la gémellité entre les deux novices n’en est que plus troublante. Oui, le micro – un autre des effets pervers de la vidéo – écarte les questions de puissance et de projection alors que dans la salle, semble-t-il, les notes les plus graves n’étaient pas toujours aussi audibles qu’il l’aurait fallu. Mais Poulenc dans cette même lettre à Bernac n’écrivait-il pas : « Pour Blanche, j’ai tant l’expérience de Denise que je ne lui donne que des sons ouverts en aigu » (Denise Duval, la créatrice à Paris du rôle de Blanche de La Force).
S’impose alors l’expression du visage évidente dès l’entrée du « petit lièvre » traqué par la peur (« ou la peur de la peur »), le regard fixe comme pour tâcher vainement de brouiller les sentiments qui l’agitent, lisible de se vouloir illisible. On voudrait que la caméra reste aimantée à cette présence – une autre perversion de l’opéra filmé qui soumet le spectateur au bon vouloir du réalisateur et le prive de regarder ce que bon lui semble.
Intimidée sans doute par l’œuvre et par sa propre inexpérience, la mise en scène de Mireille Delunsch n’en comporte pas moins de bonnes idées, comme cette barrière de cierges qui sépare le frère de la sœur dans le duo que Poulenc voulait chanté « à gorge que veux-tu ». Et Anne-Catherine Gillet, comme Stanislas de Barbeyrac, s’en donnent à cœur-voix dans ce bras de fer dont aucun des deux ne sort indemne mais où, là encore, on peut observer combien le geste accompagne la musique, avec quelques notes aveuglantes et, plus éloquent encore, le poids des silences.
« Deo Patri sit gloria » lui aussi éblouissant lors de la montée à l’échafaud mais point n’est besoin d’attendre la scène finale, lacrymale une fois encore – en est-il une plus émouvante à l’opéra, la mort de Butterfly exceptée ? – pour comprendre ce qui fait la particularité de l’interprétation de Catherine Gillet, plus encore dans Blanche que dans d’autres rôles où elle est pourtant merveilleuse – on pense à Jacqueline dans Fortunio cet hiver Salle Favart, également diffusé en streaming actuellement – : la grâce.
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