Il nous a fallu trois jours pour revenir de Dresde où nous étions la semaine dernière, le 2 janvier (1843) pour la création du Vaisseau fantôme de Wagner. A peine rentré à Paris, nous sommes allés le 5 au soir à la Salle Ventadour. Depuis l’incendie de la Salle Favart, c’est cette salle magnifique, place du Châtelet, qui accueille le Théâtre Italien dont le directeur est notre ancien confrère Jules Janini, surnommé le « prince des critiques » (au Figaro, et du Journal des Débats ).
Nous avons entendu la création de Don Pasquale de Donizetti. Ça a été un triomphe.
Création de Don Pasquale à Paris en 1843
Il paraît que cet opéra a été composé en… onze jours. Qui dit mieux ? Certes Donizetti s’est inspiré d’opéras précédents, comme Gianni di Parigi, l’Elixir d’amour, la Favorite. Mais il faut quand même le faire ! On raconte que tout s’est fait dans la précipitation. Donizetti avait fait appel, pour écrire le livret, à un émigré italien, Giovanni Ruffini, activiste de l’unité italienne jadis condamné à mort. Son frère, engagé comme lui, s’est suicidé en prison. Mais Donizetti et les chanteurs lui demandèrent tellement de modifications pendant les répétitions qu’il partit en claquant la porte. Le livret a été finalement achevé par Michele Accursi, autre exilé italien, qui n’est autre que l’agent de Donizetti. Il paraît qu’un jour, à l’issue d’une répétition, Donizetti a demandé à son éditeur Dormoy de l’accompagner chez lui et, tirant une partition d’un fouillis de vieux papiers, lui dit : « Voilà, donnez ceci à Mario, et dites-lui de le chanter lors de la dernière scène, dans le jardin, comme sérénade à Norina. » (Mario était le ténor du spectacle).
Comme on dit toujours, il n’y a que le résultat qui compte. Et le résultat a été un considérable succès.
L’histoire est celle d’un riche et vieux barbon qui décide de se marier pour contrarier les plans de son neveu Ernesto. Mais Ernesto, avec l’aide du docteur Malatesta, s’emploie à prendre Don Pasquale à son propre piège. On retrouve l’esprit de l’opéra bouffe du siècle dernier, bien éloigné des grands opéras romantiques actuels – de Meyerbeer entre autres.
La musique est fraîche, jaillissante, riche.
Certains airs deviendront certainement célèbres. Nous avons noté au passage celui de Norina « Quel guardo il cavaliere », la cavatine de Malatesta « Bel siccome un angelo », ou le « Cercherò lontana terra » d’Ernesto, avec son introduction pour trompette.
Luigi Lablanche en Don Pasquale
Le personnage de Don Pasquale a été interprété par Luigi Lablache ce chanteur bedonnant qui a une présence colossale, aussi bien physique que vocale. Il a le sens du comique. Il a des chances de marquer de manière définitive l’interprétation de ce rôle.
Giulia Grisi a été adorable en Norina. Sa voix monte sans effort dans les aigus. Elle a, en plus, un regard langoureux et un teint pâle que fait ressortir sa chevelure de jais. Le poète Théophile Gautier n’a pas résisté à son charme : « Sa beauté, son jeu et sa voix ne laissent rien désirer d’autre. »
Elle est mariée depuis quatre ans au ténor Mario qui, de sa voix claire et suave, interprétait le rôle d’Ernesto. Peut-on imaginer une plus parfaite entente entre deux artistes ?
A propos de famille, le rôle du notaire était tenu par le propre fils de Lablache.
Antonio Tamburini était lui, sans famille, dans ce spectacle. Il interpréta le rôle du docteur et fut à la hauteur de sa formidable réputation d’interprète des rôles bouffes.
Donizetti par Rillosi
L’orchestre était dirigé par le compositeur lui-même. A la fin, nous sommes allés le voir en coulisses. Il était heureux comme tout. D’autant qu’il nous avait dit il y a quelques jours avoir été mécontent des répétitions.
Nous lui avons fait remarquer « qu’il avait composé Don Pasquale en onze jours alors que de Rossini en avait mis quinze pour son Barbier de Séville ! »
A quoi il nous a répondu : « Ce n’est pas étonnant, il est si paresseux ! » (1)
(1) Authentique propos de Donizetti rapporté par la Revue des Deux mondes.