Au vu des conditions actuelles, la tenue d’un festival aussi ambitieux que Présences semblait utopique. C’est pourtant contre vents et marées que fut donné hier soir le coup d’envoi de cette édition consacrée à Pascal Dusapin, dans un format légèrement inhabituel.
Les concerts « and Friends » ne sont réservés a priori qu’aux people de la musique classique. Pas que Lachenmann, Sciarrino ou Dusapin manquent d’amis, mais l’usage fait qu’il est plus courant pour Argerich, Alagna ou Capuçon de nous présenter leurs illustres connaissances. Et pourtant, le plateau ne manquait pas des fameuses « guest-stars » qui font toute la saveur de ces soirées.
Les premiers invités, ce sont les compositeurs eux-mêmes, car si Dusapin n’a jamais eu de professeur de composition, il se revendique bien des maîtres compositeurs, sortes d’amitiés artistiques indirectes, liées à travers les siècles. Sa musique côtoie naturellement Buxtehude et Schubert, invite celle de vieux compagnons de route tels que Méfano et Saariaho (malheureusement annulée à la dernière minute) et fait place à la jeune génération. Alors que la musique d’aujourd’hui tire dangereusement vers un cloisonnement hermétique, les concerts tels que celui-ci, qui font se côtoyer le présent, le passé et l’avenir sont d’une nécessité absolue.
Dans ce joyeux mélange d’esthétiques et d’époques diverses, c’est avant tout les instrumentistes invités qui marquèrent les esprits, et pour cause. Ami de longue date du compositeur qu’il appelle amicalement « Pascal le bavard », Bernard Foccroulle nous gratifia de deux belles pages de Dietrich Buxtehude, profitant à très bon escient de la richesse des registres de l’orgue de l’auditorium. Il nous faut également souligner avec quelle verve Sonia Wieder-Atherton défendit Immer. Pièce virtuose, certes, mais aussi délicate et subtile dans son écriture instrumentale, elle est avec Invece l’une des grandes réussites de Dusapin pour cette instrument. On apprécia enfin le jeu sensible de Vanessa Wagner dans Crepuscular, création mondiale de la jeune compositrice Amy Crankshaw.
Face à tout ce beau monde, les chanteurs se devaient d’être à la hauteur. On ne compte plus le nombre de pièces de Dusapin créées par Françoise Kubler. Compagne de route du compositeur depuis plusieurs décennies, sa maîtrise de son langage ne fait aucun doute. On sent pourtant un brin d’insécurité dans La vita sognata, présentée en création mondiale. Rapidement couverte par l’ensemble instrumental pourtant délicatement dosé par Franck Ollu, elle a du mal à nous transmettre le texte d’Antonia Pozzi. Elle conclut toutefois le concert habilement avec Anacoluthe. Dans cette pièce éminemment théâtrale, elle fait s’alterner les modes de chant avec une facilité confondante et un brin d’humour qui sied tout à fait à cette pièce de clôture.
Appelé en dernière minute pour remplacer un Georg Nigl n’ayant pu se déplacer, Paul Gay semble un peu dérouté par cet étrange format de concert, et peine à installer l’atmosphère propice aux trois Lieder de Schubert choisis pour l’occasion. On appréciera davantage ses propositions dans les extraits de O Mensch de Dusapin, où l’écriture vocale plus escarpée lui permet de mieux mettre en valeur les différentes facettes d’un baryton-basse sachant se faire aussi bien sombre et racé que flûté, sur le fil.
Dans des temps où elle se voit mise à l’écart plus que jamais, un concert de musique contemporaine revêt une dimension presque salvatrice. Espérons que l’actualité des prochains jours permettent la bonne tenue du festival jusqu’à son terme.
Le concert est à revoir sur la page Facebook de France Musique, ou a podcaster sur francemusique.fr.