Faut-il dans un excès d’optimisme se réjouir d’une pandémie qui oblige les théâtres à réinventer la notion même de spectacle ? N’est pas Candide qui veut. Intermezzo de moins d’une heure envisagé par Ermanno Wolf-Ferrari comme le pendant comique des Joyaux de la Madonne, Il segreto di Susanna fait à Munich les frais d’un traitement qui use et abuse des procédés favorisés par les contraintes sanitaires. Streaming et vidéo, les deux mamelles du monde d’après ? Des images préalablement filmées alternent avec la captation en direct de chanteurs placés à l’arrière-scène du Bayerische Staatsoper derrière les musiciens extirpés de la fosse. Pour ne rien simplifier, Axel Ranisch s’autorise à récrire une histoire simple dont on ne peut s’empêcher de penser qu’une représentation littérale préserverait mieux le mécanisme comique. Convertir Sante, le domestique – rôle muet – en psychiatre chargé de réconcilier les deux époux, n’aide pas à fluidifier la compréhension d’un conte de la jalousie ordinaire – abusé par l’odeur des cigarettes qu’elle fume en cachette, le Comte Gil pense son épouse Susanna infidèle.
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Bref, le propos se disperserait dans un nuage aveuglant de fumée si la partition, d’une écriture délicieuse, quelque part entre Falstaff et La Bohème, ne bénéficiait d’une interprétation sans faille. Passons sur Sabre, rôle muet donc. Omniprésent, Heiko Pinkowski ressemble trop à Coluche pour ne pas songer à L’aile ou la Cuisse chaque fois que la caméra cadre son visage en gros plan. Mais Michael Nagy est un Comte d’une élégance viscontienne, racé, inquiet dont le baryton épouse avec naturel le flux de la parole chantée. En épigone d’Anne Zamberlan, l’égérie publicitaire de Virgin à la fin des années 80, Selene Zanetti confirme la bonne impression laissée lors de la finale du Belvédère à Cape Town en 2016 – elle avait gagné le prix du Media Jury. Son soprano généreux ne fait qu’une bouchée des quelques débordements lyriques de Susanna. Dirigé par le brillant lauréat de l’ECHO Klassik Award 2017, Yoel Gamzou, l’orchestre commente subtilement une action légère où récitatif et arioso s’entremêlent jusqu’à se confondre. De quoi rendre encore plus frustrant ce détournement constant de l’image qui prive le spectateur de la vision du chant pour ne conserver que le mime des situations. Vivement la réouverture des théâtres !