Thibault Noally continue son exploration des oratorios romains du début du XVIIIè siècle. Après Cecilia Bartoli et Blandine Staskiewicz, c’est au sopraniste montant Bruno de Sá de défendre aujourd’hui ce répertoire aussi brillant qu’exigeant. Suivant un court message de Philippe Maillard célébrant la reprise de ses concerts après plus d’un an d’annulations forcées, le concert commence brillamment par un air virtuose avec hautbois concertant. On savait déjà que la musique d’Alessandro Scarlatti sait être éclatante, mais ce morceau nous la montre presque extravagante, à moins que cela ne soit les artistes qui laissent libre court à l’excitation de retrouver leur public. L’heure et quart de musique qui suivra sera au diapason : un programme de raretés qui sont bien plus que des curiosités, des arias souvent assez courtes mais très denses, et, si certains ont déjà été enregistrées, il reste rarissime de les entendre ; nous n’avions par contre jamais entendu de musique de Lanciani, et avouons que cet air de bataille vif mais peu original ne nous a pas convaincu de son talent. C’était aussi un orchestre Les Accents toujours aussi fin qu’assertif, compensant la faiblesse de l’effectif par l’énergie débordante de chaque instrumentiste, emmenés par un premier violon et chef à la discrète mais certaine autorité.
Et enfin, un chanteur qui a tenu avec constance toute la longueur de ce programme éprouvant. Cela fait quelques mois maintenant que Bruno de Sá se signale pour sa voix de sopraniste. Technique populaire lors de la redécouverte du répertoire baroque, mais un peu éclipsée depuis 10 ans par l’avènement de contre-ténors cherchant à rendre justice à toute la tessiture des castrats, qui étaient loin de se limiter au registre aigu. Point de graves poitrinés ce soir, le chanteur a choisi d’autres moyens de nous impressionner. Passées les harmoniques métalliques agressives qui gênent surtout dans des suraigus forte que nous trouvons peu musicaux, il faut reconnaitre que la technique, le soutien et l’assurance de l’émission sont très loin de ceux des sopranistes des années 80 : l’aigu est aisé et stable jusque dans des piani très maitrisés, le timbre plus coloré que ce que l’on peut entendre en retransmission, la projection est saine sans forcer, pas d’approximation ni de tricherie avec la partition, c’est toujours juste. Bref, ce qui serait déjà fort louable chez une femme, devient simplement inouï chez un homme, le trouble du genre en plus. Ajoutons que le chanteur semble à son aise aussi bien dans l’éclat des vocalises effrénées de l’amen final du Gloria de Handel que dans le recueillement douloureux de la Vierge de la Santissima Annunziata de Scarlatti. Des récitatifs tels que ceux de Caldara le montrent très attentif à la diction et peu avare d’engagement dramatique. Enfin, il n’a pas à sacrifier la projection ou la délicatesse aux croches de la virtuosité. Quand beaucoup de ses collègues marchent sur des œufs, Bruno de Sá prend des risques, osant des crescendi remarquables et n’évitant pas les trilles. Ce n’est que vers la fin du concert qu’on pourra lui reprocher des fins de phrase un peu relâchées, notamment dans « Numi offesi di furor ».