Sous le haut patronage de Karine Deshayes, et de Fabrice di Falco, respectivement marraine et co-fondateur du concours Voix des Outre-Mer, les jeunes lauréats et finalistes des trois éditions, ont rendu, ce soir, un vibrant hommage à la soprano Christiane Eda-Pierre. A l’occasion de ce récital à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, avec la participation de Richard Martet, en narrateur d’un soir, la soirée s’est imposée d’emblée non comme un concert, mais comme un roman lyrique, presque opératique, autour de Christiane Eda-Pierre, cette « âme vaillante » (le nom d’un mouvement de jeunesse catholique fréquenté dans son enfance) « au bon caractère de bélier » disait-elle, qui a su tirer des épreuves de sa traversée artistique une force sereine qui sublimait dans une apparente aisance tout ce qu’elle faisait. Dans cet hommage en effet de miroir, les voix, au fil des mots distillés par Richard Martet, se font tour à tour diseuses du roman d’une vie et interprètes du cheminement artistique de Christine Eda-Pierre dans toute sa versatilité, des rives mozartiennes au répertoire français (son éblouissante Antonia dans les fameux Contes d’Hoffmann mis en scène par Patrice Chéreau la propulsera sur les cimes de la notoriété et aura, grâce à la télévision, un retentissement sur le grand public). La grande soprano n’a pas non plus négligé le répertoire baroque (son hallucinante Alcina d’Aix en Provence) et les créations contemporaines (son ange au parfum d’éternité du Saint François d’Assise de Messiaen aux cotés de José van Dam). Et il allait dès lors de soi que les répertoires de prédilection de l’artiste nourrissent le programme-hommage d’un soir à travers une galerie de personnages que Christiane Eda-Pierre a défendus avec brio.
Sur scène, en solo et en duo, pour conjuguer ce glorieux passé au temps présent, les lauréats et finalistes du Concours Voix des Outre-Mer, ont tous ouvert, avec talent, une fenêtre sur de belles et prometteuses perspectives futures. Clara Bellon, en Olympia, voix agile aux envolées faciles, est dotée d’un timbre clair et d’une maîtrise souveraine de la nuance dans l’écrin d’une ligne de chant impeccable. Axelle Saint-Cirel se taille un beau succès personnel en Sesto de la Clemenza di Tito, en occupant l’espace d’une voix puissante, charnue, opulente, servie par une diction ferme et un timbre séduisant. Son tempérament dramatique fait déjà bel effet. Candice Albardier révèle un timbre séduisant lequel, nourri et travaillé, pourrait faire éclore de belles possibilités. Mais les attractions sont sans nul doute les deux barytons. Edwin Fardini fait rutiler la puissance de sa voix grave avec une aisance de professionnel averti dans l’air d’Antenor « Monstre affreux, monstre redoutable » du Dardanus de Rameau. Avec sa voix ronde et chaleureuse, projetée avec autorité et panache, son excellente diction, sa présence scénique aux justes intentions dramatiques, Aslam Safla fait preuve déjà d’un bel aplomb et place la barre très haut. Quant à Marie-Laure Garnier, qu’on ne présente plus, elle se taille la part du lion, dans l’air périlleux de Vitellia « Ecco il punto… » de La Clemenza di Tito qui sollicite tous les registres de la voix, des gouffres caverneux aux cimes vertigineuses. Elle fait ici la démonstration de ses impressionnants moyens vocaux où un grave mirifique côtoie des aigus puissants. Doté d’une présence saisissante, elle habite viscéralement le personnage de Vitellia. Aux jeunes voix, se sont unis les talents aguerris, soutiens actifs du concours des voix des Outre-Mer, terreau fertile de découvertes. Outre Karine Deshayes, interprétant pour la première fois la Comtesse Almaviva des Nozze di Figaro et le contre-ténor Fabrice di Falco, audacieuse et hallucinante Alcina de Haendel toute de noir vêtue, Patrizia Ciofi était aussi de la célébration, ouvrant celle-ci avec une délicate et émouvante Leïla des Pêcheurs de Perles.
De par son élégance habituelle, le pianiste Jeff Cohen accentue davantage encore la mise à nu des émotions de cet hommage à la fois festif et poignant. A cet égard, la grande complicité entre artistes, n’est pas étrangère à la réussite de cette soirée. On sent ici un accord parfait portant une vision commune de ce poème musical dédié au parcours d’une vie. Le bouquet de mots teintés d’humour et d’émotions du contre-ténor Fabrice di Falco à Christiane Eda-Pierre, rappelant que l’illustre chanteuse n’aimait pas les voix masculines aigues, a conféré au récital une conclusion bouleversante. Sous le signe d’un bonheur partagé, la soirée est une magnifique offrande à une interprète qui tout au long de son cheminement artistique s’est distinguée par sa générosité et sa combattivité.