La basilique de Saint-Denis est-elle le lieu idoine pour un concert où s’alternent Wagner, Strauss et Brahms ? Ses imposantes dimensions offrent certes un cadre à la hauteur des œuvres programmées ; mais elles vont de pair avec une acoustique redoutablement réverbérée, qui a tôt fait de rendre peu lisibles les jeux de nuances et les enchevêtrements harmoniques. On sait donc gré à Karina Canellakis de favoriser, dès l’ouverture de Tannhäuser, la mise en lumière des lignes mélodiques plutôt que de s’appuyer sur des basses prétendument wagnériennes qui n’eussent pas manqué de s’étioler sous les hautes voûtes des lieux. Ce Wagner chantant et presque latin constitue un prélude idéal aux Quatre derniers Lieder de Strauss, chant du cygne d’un compositeur au faîte de son art, en quête d’épure et d’effacement. Dans cet univers musical qu’elle a fait sien il y a près de 20 ans, Camilla Nylund sait, elle aussi, éviter toute lourdeur. Dès les premières mesures d’un « Frühling » plus apaisé qu’exalté, on comprend que c’est par la susbtance même de son timbre que Camilla Nylund construit son interprétation. Son timbre, qui projette son éclat opalescent avec une plénitude intacte sur un « September » ne voulant pas se résoudre à l’arrivée de l’automne, son timbre encore qui éloigne les ombres de « Beim Schlafengehen » – et le violon solo tout en souplesse de Sarah Nemtanu est au diapason : quand il y a tant de lumière, comment se douterait-on que le crépuscule approche ? On pourrait craindre que tout cela laisse froid, mette à distance ce que les mots et la musique racontent. Mais on est au contraire touché par cet « Im Abendrot » qui ne dévoile qu’un soupçon d’étonnement, jeunesse encore intacte déjà surprise par la mort.
De même, le début in media res de l’Allegro non troppo de la Quatrième symphonie de Brahms n’a pas la résignation que l’on y entend parfois. Aidée par la clarté naturelle de l’Orchestre National de France, Canellakis fait avancer le discours sans s’apesantir, refusant trop de solennité à l’Andante moderato, et faisant du vif Allegro giocoso le cœur battant d’une interprétation toujours animée. Même l’imposante passacaille du dernier mouvement, sur le thème de la cantate Nach dir, Herr, verlanget mich de Bach, se bat et se démène avec une rageuse soif de vivre.