Ressasser des centaines de fois une proposition incorrecte ne la rend pas plus vraie la centième fois que la première. Cet adage s’applique hélas à l’Opéra National de Paris qui ne désespère pas de susciter l’adhésion de ses spectateurs à la mise en scène de Claus Guth en la resservant inlassablement depuis 2016, sans parvenir à convaincre cette fois encore. En effet, la sinistre boîte en carton constituant le décor unique de cette production n’apporte toujours aucun éclairage supplémentaire à l’œuvre, toutes les réponses étant déjà dans la partition et dans le livret.
Heureusement, l’intérêt de la soirée résidait surtout dans la sublime distribution proposée ce soir autour de Ludovic Tézier et Nadine Sierra, dont la complicité vocale et scénique a illuminé cette première.
La donna è mobile © Elisa Haberer – Opéra National de Paris
Le Rigoletto du baryton français est simplement superlatif. Techniquement à son paroxysme, Ludovic Tézier ne fait pas qu’asséner son timbre sombre et cuivré à ses puissantes attaques, il cisèle chaque mot, y portant une intention précise que ce soit dans son « Cortigiani » ou bien sûr sur chacune des déchirantes « Maledizione ». Son contrôle absolu du legato, et l’homogénéité de son registre le rendent impérial dans le répertoire verdien, à l’instar de Nadine Sierra qui rivalise de maîtrise technique et stylistique. Le timbre velouté et la fraîcheur de sa voix ont sublimé la perfection du trille à la fin du « Caro nome » constellé d’aigus d’une justesse et d’une facilité déconcertante. Et quel florilège de pianissimi filés et de notes tenues indéfiniment. La magie s’amplifie tout au long des deux derniers actes, lorsque les duos et ensembles mettent en exergue la symbiose des deux voix, comme dans le « Vendetta » du II ou dans le quatuor du III, où Nadine Sierra est proprement bouleversante, vocalement et scéniquement.
Le reste du plateau n’a pas à rougir en comparaison des deux chanteurs vedettes et offrent un équilibre très appréciable. On notera d’abord l’impressionnant Sparafucile de Goderdzi Janelidze, basse puissante effectuant des débuts plus que prometteurs à l’Opéra National de Paris ainsi que le facétieux et très musical duc de Dmitry Korchak, au legato remarquable, mais s’égarant parfois dans la grande salle de Bastille, couvert hélas par l’orchestre tonitruant de Giacomo Sagripanti.
Certes le chef italien fait exploser les couleurs de la partition et maintient une tension louable tout au long de la représentation. Cependant, le triple forte permanent couplé à des tempi tantôt démentiellement rapides, tantôt étirés infiniment provoquent inéluctablement des décalages et surtout recouvrent trop souvent le plateau, comme lors du trio, où Maddalena devient purement inaudible. Gageons que ces quelques points de détails se dégripperont lors des prochaines représentations.