A l’orée de la création de son nouvel opéra, nous recevions Philippe Hersant dans notre podcast le Bel aujourd’hui. C’est désormais chose faite : Les Eclairs ont vu le jour au Théâtre de l’Opéra Comique le 2 novembre, face à un public enthousiaste. De notre côté, plus que la fulgurance de l’œuvre, nous en retenons la poésie.
On a bien compris la nécessité d’adapter Des Eclairs de Jean Echenoz pour l’Opéra Comique. Premier théâtre d’Europe éclairé à l’électricité, il lui est tout naturel d’accueillir une création consacrée au courant alternatif et à son inventeur. Pour autant, le livret du romancier peine à convaincre comme tel. Jean Echenoz est certainement l’une des plus grandes plumes françaises d’aujourd’hui, mais on sait que ce ne sont pas les dialogues (quasi inexistants) qui font l’intérêt de ses romans. On sait aussi que sa prose évolue selon un rythme on ne peut plus étranger à celui de la parole, et que ce n’est pas l’ajout d’alexandrins ou d’octosyllabes qui lui permettront de retrouver une fluidité à l’oral. Pour ce qui est de son contenu, on ne sait pas bien quoi penser d’une trame narrative somme toute assez prévisible : le génie Gregor arrive aux Etats-Unis et se heurte au mépris d’Edison. Soutenu par le riche Parker et les bienveillants époux Axelrod, il parvient tout de même à se faire une notoriété, mais sa fâcheuse tendance à ne pas protéger son travail et à laisser ses expériences inabouties auront raison de sa carrière. Les personnages nous apparaissent en outre franchement stéréotypés, aux antipodes des protagonistes complexes auxquels nous a habitué Echenoz dans ses romans : Edison est un ingénieur maléfique sorti tout droit d’un Disney, et la pauvre Ethel est incapable d’exister en dehors de son amour pour Gregor.
Face à ce livret qui demeure riche en changements de décors, Clément Hervieu-Léger fait le pari d’une mise en scène esthétisante et allégorique. Le dispositif scénique ingénieux lui permet d’évoquer par de simples panneaux coulissants un intérieur cossu, puis une rue de New-York ou l’atelier de Gregor, le tout à moindres frais scéniques. Les costumes élégants de Caroline De Vivaise achèvent de nous transporter dans le New-York du début du siècle dernier.
© S. Brion
La grande réussite de la soirée est une distribution où chaque personnage est à sa place. Jérôme Boutillier est un Parker, qui, outre des dollars, a du métal à revendre dans la voix. André Heyboer prête toute la noirceur de son timbre à l’incarnation du grand méchant Edison, tandis qu’Elsa Benoit lui offre en Betty un contrepoint d’une légèreté bienvenue. Les aigus rayonnants de François Rougier lui permettent de surmonter sans difficulté l’écriture vocale plutôt musclée du rôle de Norman Axelrod, alors que Marie-Andrée Bouchard-Lesieur se love avec facilité et talent de tragédienne dans les contours mélodiques généreux du personnage d’Ethel Axelrod. Jean-Christophe Lanièce est le candidat idéal pour le rôle de Gregor. Sa silhouette élégante lui permet d’incarner son personnage avec un naturel sensible et rêveur. La voix n’est pas non plus en reste, brillante la plupart du temps, mais plus voilée dès que la scène le requiert.
L’ensemble Aedes brille ici autant par la qualité de ses solistes auxquels sont confiés les nombreux rôles secondaires, que par un son collectif d’une netteté irréprochable. Rien non plus à redire sur la direction d’Ariane Matiakh à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. La partition est défendue avec ferveur et précision, et la cheffe sait s’occuper avec le même soin du plateau que de la fosse, où les interventions solistes sont tout aussi nombreuses.
© S. Brion
Lors de notre entretien avec lui, le compositeur nous confiait s’être redécouvert en écrivant cet opéra. Par souci de cohérence avec la scène, il pratique allègrement le pastiche et la citation, ce qu’on ne saurait lui reprocher : la partition est parsemée de christmas carolls, de fox-trot, de fanfares dès que le livret les requiert. Par ailleurs, le compositeur confiait dans une interview avoir également beaucoup écouté l’Affaire Makropoulos lors de la composition de son opéra. On le croit volontiers, puisque l’on y retrouve les étranges fanfares, les ostinati lancinants (parfois même en la bémol mineur, tonalité janačékienne par excellence), mais surtout ces brusques exclamations vocales qui trouvent leur écho répété dans la toile orchestrale, et qui sont la signature même du compositeur tchèque.
La verve orchestrale de Janaček a pourtant peu à voir avec l’écriture plus réservée de Hersant. La part belle est faite aux solistes de cordes, et aux percussions résonantes (cloches tubulaires, vibraphone), mais l’orchestre et le discours ne semblent pas toujours se donner les moyens des ambitions du livret. On se console avec une écriture vocale qui, tout en individualisant véritablement les protagonistes, va toujours dans le sens du mot et de la voix. Si la musique n’est pas l’embrasement que le titre semblait vouloir promettre, elle diffuse une douce lumière qui illumine chaque personnage de l’intérieur.