Un tapis. Un immense tapis vert couvrant toute la scène. Un tapis vert-gazon qui a la couleur de la nature lorsqu’arrive le printemps, que les fleurs éclosent, que les oiseaux gazouillent et que les cœurs se gonflent d’amour. Ce simple tapis constitue le décor principal de l’opéra Eugène Onéguine mis en scène par Stéphane Braunschweig au Théatre des Champs Elysées. Pour délimiter les espaces, des chaises sont placées en ligne, en rectangle ou en rond.
Il n’en faut pas plus au metteur en scène pour nous offrir un spectacle esthétique et prenant.
Au milieu de tout cela évolue l’Onéguine de ces dames, le Don Juan russe, le bourreau des coeurs et assassin de son ami, le dandy de grand chemin.
Le metteur en scène marie modernisme et tradition. Le modernisme consiste en l’utilisation des espaces vides, géométriques, rendus vivants ou mystérieux par les effets de lumière.
La tradition se retrouve dans l’abondance et la richesse des costumes, dont les époques évoluent au fur et à mesure du déroulement de l’histoire.
Eugène ONéguine, 1er. acte © Vincent Pontet
Deux bémols cependant. Le premier : la chambre de Tatiana, montée du sol par un ascenseur est un volume parallélépipédique qui manque vraiment de poésie.
Deuxième bémol : l’absence de danse au moment de la célèbre polonaise du troisième acte. A la place, on assiste à une scène de jeu au casino. On a rarement vu plus statique sur une musique aussi dansante !
Tout le reste est séduisant.
La distribution est de premier ordre.
Ecoutez la Tatiana de Gelena Gaskarova ! Elle nous émeut avec son allure à la fois fragile et déterminée. La voix est belle et longue, avec de beaux mediums, d’agréables inflexions. Elle ne force pas, se tenant surtout dans le registre de la douceur.
Avec son timbre de métal Jean-Sébastien Bou est un remarquable Onéguine, puissant, rageur, colérique et désespéré.
Le ténor Jean-François Borras, voix richement timbrée, éclate dans le personnage de Lensky. Il transforme en feu d’artifice son grand air « Kuda, kuda ».
On aime la voix ample d’Alisa Kolosova (Olga), avec son medium velouté, ses graves profonds.
Jean Teitgen donne de la noblesse et de l’émotion à son air de Grémine qui est l’un des plus beaux airs du répertoire lyrique romantique.
Mireille Delunsch a belle allure en Madame Larina, tout comme Delphine Haidan en Filippievna.
Quant à Marcel Beekman, il est le Triquet qu’il nous faut, accentuant à plaisir le burlesque de son personnage.
Scène de jeu au casino © Vincent Pontet
Le chœur de l’opéra de Bordeaux est de premier ordre.
De la fosse, la cheffe Karina Cannelakis fait monter la musique vibrante, enveloppante, enivrante de Tchaïkovsky. Elle tient notre très bel Orchestre National d’une main souple et forte. On voit dépasser de la fosse sa tête blonde, coiffée en queue de cheval, dont le mouvement accompagne la houle de la musique. On sent qu’elle a son Tchaïkovksy à fleur de peau. Et le frisson passe dans la salle.
Sur le tapis vert des Champs Elysées, on vous invite à miser sur Onéguine. Pas de doute, il est gagnant !