Le talent transversal de Marie-Laure Garnier nous a fait l’offrande, lundi soir, de réunir les spirituals et la mélodie française, dans un voyage entre deux continents. Accompagnée de sa fidèle pianiste Célia Oneto Bensaid (elles forment le Duo Nitescence) la soprano a choisi de faire dialoguer des mélodies de Poulenc et de Messiaen avec des negro-spirituals, un audacieux cocktail qui sera d’ailleurs le cœur même d’un album commun intitulé « Songs of Hope » et dont la chanteuse et la pianiste ont annoncé à l’unisson la sortie imminente. Audacieux programme donc mais nullement incohérent, car les émotions traversant tant les mélodies que les gospels ont des thématiques communes : le sacré, l’espoir, les épreuves traversées par l’Homme. Toutefois, les deux artistes aurait pu aisément se limiter, pour l’exercice du récital, à un florilège de spirituals tant elles habitent ce répertoire avec passion et brio sans s’aventurer sur le terrain épineux des mélodies sacrées de Messiaen si difficiles à interpréter et mettant inutilement en difficulté la voix dans un programme obligeant ainsi au grand écart.
Avec les Gospels et Spirituals, Marie-Laure Garnier trouve un registre à la mesure de sa voix opulente et chaleureuse, avec des phrasés réellement sublimes et des vocalises qui rappellent inévitablement Jessye Norman. Les spirituals très rythmés et marqués viscéralement par l’âme américaine, permettent à la soprano d’exposer des moyens vocaux de grand lyrique imposants : par sa puissance, un grave mirifique, un timbre rond et chaud, elle saisit d’emblée l’auditoire par toute un palette d’émotions. Portant tout à la fois la joie et la détresse, l’espoir et la douleur, elle fait montre d’un tempérament de feu et une présence scénique saisissante, sans pour autant perdre de vue la qualité de son interprétation. Avec son abattage et sa voix savoureuses aux accents Normanien, l’artiste séduit le public par ses affinités affirmées à une spiritualité incarnée dont le point culminant est sans nul doute, le poignantSometimes I feel like a motherless child, cette plainte de l’esclave privé de pays et de famille. Le brillant de l’accompagnement pianistique de Celia Oneto Bensaid contribue à magnifier l’interprétation. L’entente entre les deux artistes nourrit à l’évidence cet accord parfait entre la voix et le piano.
A l’évidence plus à l’aise dans Poulenc que dans Messiaen, dont les sonorités percutées sollicitent la voix dans tous ses registres, Marie-Laure Garnier se plaît dans l’art du dire grâce à une diction remarquable soulignée par une phrase pianistique toujours ciselée et imagée de sa partenaire. Sur le plan vocal, l’artiste trouve toujours le ton juste entre grand lyrique, voix chantée et parlée avec un timbre séduisant.
Au piano, Célia Oneto Bensaid s’affirme bien plus qu’une accompagnatrice attentive et investie tant les mêmes affinités artistiques semblent les lier. Les spirituals bien plus que les mélodies en français offrent un terreau propice au duo pour donner corps, au-delà des mots et des notes, à un faisceau d’images qui suscite l’émotion. A défaut d’être palpitant, ce singulier voyage fut au moins intense émotionnellement, alternant espoir et douleur, joie et peine, porté par la sincérité et l’enthousiasme de deux artistes habitées.