L’imminente Semaine Sainte amène nécessairement son lot de festivités musicales leipzigoises. A Paris, on se presse à l’auditorium de Radio France pour la Saint Jean, avant d’aller à la Philharmonie pour la Saint Matthieu. Il était sage de la part des deux salles de programmer deux artistes aussi différents que Vaclav Luks et Philippe Herreweghe lors de ces deux soirées.
C’est donc à Václav Luks, et à son Collegium 1704 que revient la primeur de la Saint Jean, devant un auditorium de Radio France quasi comble. On a beaucoup glosé sur les différences entre les deux passions de Bach. La Saint Jean est celle d’un homme de théâtre, d’un cantor cherchant encore à affirmer auprès des autorités de la ville ce format encore nouveau qu’est celui d’une passion. Il ne s’y refuse aucun effet dramatique, et coule le livret anonyme dans un format compact : on juge, crucifie et enterre le Christ en moins de deux heures.
C’est une lecture charpentée et énergique que livre ici Václav Luks. La battue est nette et précise, redoutablement efficace dans les chœurs, où l’on suit le contrepoint avec aisance. Il sait néanmoins rester attentif au besoin de ses solistes, proposant une direction plus souple dans les airs et les chorals. Peut-être que le texte est laissé un peu de côté dans ces derniers : le son collectif du Collegium vocale 1704 est d’une plastique irréprochable, mais les correspondances texte/musique qui font toute la saveur des chorals semblent gommées par endroits. Ce léger manque est compensé par un orchestre tiré au cordeau, duquel on retiendra avant tout les pupitres de traverso et de viole de gambe.
A défaut de présenter des artistes tchèques, le plateau réunit ce soir quelques noms familiers du chant baroque. Les premiers honneurs vont d’emblée à Sophie Junker, qui gratifie le public d’un « Ich folge dir gleichfalls » rayonnant de bonté. Autre succès de la soirée : celui de Christian Immler en Ponce Pilate, qui croque en quelques phrases à peine toute l’ambivalence du personnage. Sebastian Kohlhepp est un Evangéliste vigoureux, dont on comprend chaque traître-mot. La voix se couvre légèrement dans l’aigu, mais la prestation est d’une musicalité à toute épreuve. Passons en revanche rapidement sur la prestation fragile de Tobias Hunger, qui peine à arriver au bout de ses deux airs, sans proposer de lecture musicale convaincante. L’alto de Benno Schachtner est plus ambivalent : la voix est parfois mise en difficulté (médium et grave peu sonores), mais ses qualités de musicien lui permettent de livrer un « Es ist vollbracht » sur le fil. Matthias Winckhler a tout pour incarner le Christ, et les années à venir permettront à la tierce aiguë de gagner en présence.
C’est avant tout par la netteté et la vigueur de son trait que s’impose cette Passion, et les quelques fragilités dans le plateau vocal ne feront pas non plus oublier une prestation musicale de qualité.