Par les temps qui courent, rares sont les opéras qui proposent des créations mondiales. Lyon est de ceux-là. Quoi qu’on ait pu penser du spectacle, la création de Shirine qui vient d’avoir lieu est à mettre à l’actif de cet opéra, de son directeur Richard Brunel qui a assuré la mise en scène et d’un de nos meilleurs compositeurs contemporains, Thierry Escaich. Louons l’audace lyonnaise. Encourageons le « made in Lyon ».
Bouche cousue : c’est sur cette image d’une femme aux lèvres méchamment closes que s’ouvre le spectacle. Le sujet est l’émancipation de la femme vue par le poète perse… du XIIe siècle Nizami, reprise par le romancier contemporain afghan Atiq Rahimi. Un sujet en or pour cet écrivain qui a été chassé de son pays par les troupes soviétiques et s’est réfugié en France, où il obtint un prix Goncourt ! L’histoire est celle de l’amour impossible entre le souverain iranien Khosrow et de la princesse arménienne chrétienne Shirine. Le romancier, d’ailleurs, ne dit pas « amour » mais « aimance ». « L’ aimance est une errance » dit-il joliment.
C’est lui qui a écrit le livret de l’opéra. Et c’est là que le bât blesse. Car on peut être excellent romancier et librettiste moins habile. Par moments, le spectacle traîne. Les dialogues manquent d’efficacité. Rahimi met dans la bouche de ses personnages des commentaires là où on aimerait voir de l’action. La reine Chamira dit par exemple : « Koshrow revient de la guerre. Il demandera la main de Shirine, certes, me délaissant dans la douleur et la perte ». On est ici dans le commentaire, pas dans l’action. Plus loin le chœur chante (à la manière des chœurs antiques) : « Shirine se consume dans sa solitude, elle ne s’occupe plus de son royaume, ses terres sont devenues arides… » Là encore on est dans la narration. Or la scène a besoin d’action.
Des belles images d’enluminures persanes © Jean-Louis Fernandez
La mise en scène s’en ressent. Douze tableaux se succèdent sur un plateau tournant. Malgré la beauté de quelques images d’enluminures persanes projetées çà et là, il y a beaucoup de murs blancs et de portent qui claquent. On aurait imaginé quelque chose de plus poétique pour illustrer un conte oriental. Le ballet central correspond bien peu à l’opulence de la musique qui le porte.
La musique de Thierry Escaich, excellemment mise en valeur par l’orchestre et le chœur sous la direction de Franck Ollu, est le point fort du spectacle. Le traitement de la voix chantée est souvent proche de la déclamation parlée. Tout en utilisant un langage moderne, Thierry Escaich ne renie pas son sens de la mélodie. Son orchestre est souple, équilibré entre vents et cordes. Il évoque l’Orient en utilisant des tournures modales et des intervalles augmentés et faisant appel à des instruments à vent orientaux ainsi que des percussions digitales.
Jeanne Gérard s’investit à fond dans son personnage de Shirine, faisant notamment briller ses aigus. A ses côtés, on applaudit l’assurance et le timbre velouté de Majdouline Zerari en reine d’Arménie.
Julien Behr domine la distribution. Voix intense, solide, généreuse, il incarne puissamment le rôle de Koshrow. A ses côtés, Jean-Sébastien Bou assume avec fermeté le rôle de Chapour, son confident. Il est particulièrement à l’aise dans le parlé-chanté .
Deux autres barytons méritent des éloges en Barbad – le conteur et Fahrad – le sculpteur : Laurent Albaro et Florent Karrer.
Le ténor Stephen Mills, issu de l’Opéra Studio de Lyon, à la voix non encore affirmée, n’intervient pas pour rien dans l’histoire : c’est lui qui, à la fin, tue le héros !
Quant au contre-ténor Théophile Alexandre, bien investi dans son rôle de messager mais dont le timbre manque de rondeur, il s’avance vers le public à la fin et pose cette question : « Vous qui avez entendu cette histoire, croyez-vous l’avoir seulement perçue ? »
Comme dirait Shakespeare : « That is the question ! »